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Paroles Plurielles
16 novembre 2005

L'aviateur interdit (Miss Line)

Je m’en veux tellement. Je voudrais tant me frapper. Pourquoi ne l’ai-je pas abordée ? Pourquoi l’ai-je laissée partir avec cet inconnu sans charme ?

Je suis un aviateur pourtant. Un « héros de la Grande Guerre », comme ils disent. Je n’ai jamais eu le moindre frisson de peur en montant dans mon zinc. Je n’ai jamais eu le même effroi lorsque j’appuyais sur la gâchette qui tuait l’ennemi. Je suis capable d’un sang-froid exemplaire, disaient mes supérieurs. Je peux être réactif, prendre une décision dans la seconde, pertinente, intelligente et l’appliquer avec une rigueur d’orfèvre.

La Grande Guerre est terminée. Plus personne n’a besoin de moi. J’ai gardé mon blouson d’aviateur, seul témoin de ma gloire passée mais je ne suis plus rien. Je ne suis plus le « commandant », je ne suis plus que Jean. Et Jean, cela fait bien longtemps que je l’ai laissé de côté, que je ne l’ai plus écouté.

Alors je traîne dans ce Paris libéré. Oisif à en crever. Les gens autour de moi, ceux que j’ai sauvés, me bousculent dans la rue, joyeux. Et moi, je suis transparent.

Et j’ai croisé cette jeune femme un jour, une baguette au bras, un sourire franc au lèvres. J’ai entendu mon cœur battre pour la première fois depuis des années. J’ai cru mourir tellement mes émotions étaient violentes.

Alors j’ai fait de mes journées vides des rendez-vous secrets avec cette inconnue. Impressionné, elle était pour moi si belle, si forte, que, pendant des jours, je n’ai fait que l’observer.

Ma vie n’était plus que tournée autour de ces quelques secondes volées le matin, vers onze heures, dans ce brouhaha de la rue Mouffetard.

Je n’étais qu’en apnée tout le reste de la journée. Pourtant je me disais : "allez, Jean, réveille-toi, aborde-la ta jolie princesse ". Et ce matin-là, j’étais décidé. Je me suis posté près du platane, une cigarette nerveusement éteinte, décidé à l’approcher et lui parler lorsqu’elle aura franchi, toujours souriante, le seuil de la boulangerie. Malgré des heures de réflexion, je ne savais toujours pas quels mots sortiraient en premier. Je décidais de faire confiance  à ma grande réactivité. Tire sur la gâchette, Jean.

Mais ce jour-là, alors que j’étais avec mon blouson sur les épaules et que mes doigts se frôlaient, apprenant le contact qui serait bientôt celui de mes mains contre les siennes, elle est sortie, le visage assombri, terne presque, de la boulangerie. Un homme un peu plus  âgé qu’elle, interdit, la tenait par le bras, presque serrée. Elle était à lui. Elle ne serait jamais à moi.

Mais nos regards pour la première fois se croisèrent : en silence, elle m’appelait. Et moi, je restais comme paralysé, devant ce platane, lié à la vie que par le bout de mes doigts qui se frôlaient. Pour la première fois de ma vie, je sentais le vertige de la solitude.

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Commentaires
M
Merci Coum'. <br /> l'aviateur ? En vacances je crois .... <br /> Merci encore pour cette merveilleuse idée. <br /> Bises
C
L'histoire de l'aviateur de Miss Line...ou l'éternelle histoire d'un timide qui laisse partir celle qu'il aime<br /> Je suis heureuse de te voir ici, Miss Line<br /> Comment va notre ami?
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