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Paroles Plurielles
18 décembre 2005

Je vous règle l'addition? (François)

« C’est là, faut que j’y aille, on m’attend… » que je me suis dit en découvrant l’enseigne après avoir tourné à pied une bonne heure dans la ville.

On m’attend… hé hé hé !

Le « Gros » m’attend… Mais depuis des années, a-t-il jamais fait autre chose que m’attendre ?

Et de fait, j’arrive. Je finis toujours par arriver : comme disait l’autre, « n’ai-je jamais rien fait d’autre qu’arriver ? » C’est de circonstance.

J’ai eu du mal à le trouver, ce foutu restaurant. « La Clef des Champs », à Bruxelles, rue de Rollebeek, 23… tu parles d’une adresse ! Et cette manie qu’ils ont ici, en Belgique, de mettre le numéro après le nom de la rue… !

On m’avait refilé des photos de l’établissement : façade bleue et à l’intérieur, murs de patine ocre jaune. A voir son « look » provençal, je me suis dit : « Ça doit être près de la gare du Midi… » J’t’en fous…

J’ai dû me taper la traversée du quartier des Marolles d’Ouest en Est, dans un froid de canard…

Une zone qui était mal famée dans le temps. J’en sais quelque chose : j’y ai fait mes débuts alors que les frontières étaient encore protectrices. Pour les types comme moi, s’entend…

Les Marolles un dimanche… Au passage, j’ai jeté un œil au marché aux puces de la place du Jeu de Balle histoire de me remettre dans l’ambiance.

Pavés gras et disjoints comme autrefois, détrempés, d’où le froid vous remonte jusqu’aux rotules le long des tibias ; temps gris à souhait pour un mois de décembre ; un vent à écorner tous les cocus de la création, vicieux et humide, qui vous pénètre jusqu’à l’os ; des types qui vendent n’importe quoi, que parfois on se demande si c’est pas le contenu des poubelles de la nuit…

Et puis la rue Blaes, sur toute sa longueur, avec la bise du Nord-est en pleine poire qui vous gèle les couilles, et cette petite drache bruxelloise qui s’était mise à tomber ; façades lépreuses malgré les réhabilitations effectuées dans le secteur : on en a viré avec perte et fracas les vieux « Brussellers » qui étaient l’âme du quartier. Faut faire place nette pour les nouveaux riches à la mode qui viennent s’installer ici et rapportent plus au mètre carré que les vieux et les Arabes.

Au coin d’une rue, encore quelques « zinneke » tout de même se réchauffant autour d’un marchand de soupe aux bulots. J’ai traversé la vapeur de leur l’haleine parfumée à la Gueuze.

J’ai fini par tomber sur la rue de Rollebeek… Une petite rue piétonne derrière la vieille Chapelle, entre la place Vandervelde et le boulevard de l’Empereur.

J’aime pas les rues piétonnes : si il y a du rififi, c’est un piège. Vingt-cinq ans d’expérience dans le métier… ça ne ment pas.

Voilà que je me mets à gamberger… Décidément, il est temps que je raccroche, moi… Faut savoir laisser la place aux jeunots quand il est encore temps, dans mon métier.

Le « Gros » était assis à la table qu’on m’avait indiquée, occupé à bâfrer. Depuis le temps, il avait pas maigri.

Je me suis approché de la table et je lui ai dit « Salut, Gros ». Simplement. Un dialogue franc et massif.

Il a levé sa grosse gueule ; m’a regardé comme si j’étais la Sainte Vierge descendue devant son litron de rouge : il n’y croyait pas.

J’ai pas trop laissé de temps à l’assemblée pour contempler ma tronche.

J’ai pas non plus pris celui de raconter ma vie au « Gros » : de toute façon, il la connaissait, et il devinait bien pourquoi j’étais là, planté devant lui avec les deux mains dans les poches de mon imper.

Il devait seulement se demander comment j’avais bien pu le retrouver après tant d’années…

J’ai sorti mon pétard préféré, un Manurhin MR73 au canon long comme un jour sans pain.

Paf… paf…

Le « Gros » est tombé en avant, la gueule dans ses œufs en meurette.

Je suis reparti lentement, comme j’étais venu, ignorant les hurlements d’une cliente qui avait reçu un œil du « Gros » dans son waterzooï.

Dehors, les gargouilles de la Chapelle me faisaient des grimaces mais je n’en avais rien à foutre. J’étais soulagé.

Je suis allé me taper une Kriek à l’estaminet du coin. Une vieille habitude d’autrefois.

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Commentaires
C
Bien construit, bien écrit.J'ai bien mangé,je me suis régalée, j'ai bien bu... lu... Mon ventre est bien tendu...après cette lecture!Charlotte
F
>Nuages: Tout cela est bien vrai... y compris le côté "too much"... Mais précisément, le "coup d'oeil" est voulu.
N
Texte "polar" intriguant à souhait. Un petit bémol toutefois : l'histoire de l'oeil qui se retrouve dans l'assiette, ça me paraît vraiment "too much"... on se retrouve dans un délire à la "Monty Python", alors que le reste du texte fait penser aux bons vieux polars des années 50, avec Jean Gabin ou Bernard Blier par exemple...
C
coumarine, j'ai écris un texte que j'ai envoyé sur votre boite mais apparement, ce n'est pas arrivé à destination... un changement d'adresse?
F
Bonjour Coumarine,<br /> Tout d'abord, merci pour les compliments...!<br /> Ensuite, LOL, comme on dit sur le Net... Non, je ne suis pas Belge. Mais le village lorrain où j'habite n'est qu'à 1 petit kilomètre de la frontière, près de Torgny...<br /> Et puis j'ai vécu presque 10 ans à Bruxelles, où je retourne régulièrement. J'aime beaucoup le quartier des Marolles. Du moins, je l'aimais beaucoup avant qu'on le change un peu trop à mon goût... Je suis moi-même ému quand je pense aux "vieilles" Marolles.<br /> Quant au restau, j'en connaissais le nom et pour le reste (décoration, oeufs en meurette), oui...: Google! :))
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