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Paroles Plurielles
22 décembre 2005

Un Noël saboté (Jean)



- Nous sommes en présence d'une puissante organisation. Ils vont tout foutre en l'air ! Vous imaginez l'impact sur le commerce ! A quatre jours de Noël !

L'inspecteur Cadin était assis face au commissaire, qui continuait à pérorer derrière son bureau de métal gris. Dehors, la pluie tombait sans relâche. Noël blanc, c'était fichu.

- Noël, c'est sacré ! Ils s'attaquent à un pilier de la société. Ils violent la trêve. Personne n'avait jamais osé.

Le commissaire continuait à soliloquer. Cadin l'écoutait à peine. il avait l'impression d'être une grande oreille, un entonnoir où coulaient à plein débit les obsessions du commissaire. Et puis, ce Noël saboté, ça l'amusait, au fond.
Les faits avaient commencé le 18 décembre. Plusieurs objectifs avaient été visés. La crèche de la Grand-Place avait été le premier. Pendant la nuit, on avait pulvérisé une substance acide sur les effigies en plastique de Marie, Joseph, Jésus, des Rois Mages, du boeuf et de l'âne. Très rapidement, elles s'étaient mises à se couvrir de bulles et de boursouflures qui éclataient sans cesse. Les statues se déformèrent, devinrent grotesques et grimaçantes, et se liquéfièrent en émettant des bruits incongrus. Il n'en resta bientôt que des flaques visqueuses et collantes qu'on eut le plus grand mal à éliminer.
Ensuite, le marquoir électronique géant de la Bank of California, qui souhaitait "Joyeux Noël" dans toutes les langues de l'Union Européenne, se mit à proclamer "Noël gnangnan, bande de veaux", "Cucul la praline, gnagnagna".
Enfin, dans plusieurs grands magasins, où des chômeurs en fin de droits grappillaient quelques sous en suant à grosses gouttes sous des houppelandes rouges synthétiques, en subissant à longueur de journée les exigences des marmots (jeux Nintendo, panoplies de Batman, Goldorak fluorescents), le mystérieux groupe avait aussi frappé : les innombrables Pères Noël, sans doute dûment stipendiés, avaient tous enlevé leurs oripeaux en pleine heure d'affluence, en clamant "ça n'existe pas, ces niaiseries ! le Père Noël et tutti quanti, ça sert juste à pomper le fric de vos parents, à vous rendre cons avec des jeux stupides, y a plus de merveilleux, y a plus que le tiroir-caisse et les parts de marché !".
Les journaux et les radios avaient hurlé : "ils ne respectent plus rien", "la trêve de Noël violée". Le ministre de l'intérieur déclara que "la justice serait impitoyable pour ces asociaux qui s'attaquaient aux fondements mêmes de la société".
Les deux jours suivants, toutes les bornes furent dépassées. Les haut-parleurs qui déversaient à longueur de journée "Jingle bells" et des airs de Tino Rossi, Adamo et Yves Duteil, se mirent à diffuser des rots, des pets et des borborygmes divers. Les étalages de plusieurs magasins de jouets furent recouverts de glu et de neige carbonique. On eut toutes les peines du monde à séparer les acheteurs des produits convoités. Enfin, le ministre de l'intérieur lui-même fut entarté en direct devant des millions de téléspectateurs au moment même où il déclarait, face à Frédéric Suave d'Arbor : "Noël sera toujours Noël et le gouvernement s'y emploiera !".

Le commissaire tempêtait toujours :

- Vous imaginez, Cadin, ce qui peut encore se passer ! Mobilisation générale ! Branle-bas de combat ! Il faut mettre ces crapules hors d'état de nuire ! Arrêtez Noël Godin, vous savez bien, l'entarteur, c'est peut-être lui. Bouclez tous les situationnistes, les anarchistes, les antipapistes ! Vous connaissez tous ces réseaux. Hop, au trot ! Ils sont capables de tout. Vous imaginez, ils pourraient même entarter le Roi, lors de ses voeux au pays...

L'inspecteur s'acquitta mollement de sa mission. Il interrogea les subversifs suspectés, les maintint en garde à vue pendant les quarante-huit heures réglementaires. Personne ne savait rien. Quelques méfaits se produisirent encore, mais ils furent dépourvus de gravité. Le souverain prononça son allocution normalement, dans son palais entouré de chevaux de frise et de combis de gendarmerie. On n'entendit plus jamais parler des fauteurs de troubles. Les restaurants, les magasins de cadeaux et de jouets, tout le secteur festif de l'économie nationale subit tout de même une diminution considérable de son chiffre d'affaires.

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Commentaires
C
Jean...te voilà ENFIN!<br /> bon avec évidemment ton esprit subversif...<br /> Bien envoyé...
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