Folle de lui. (Eversharp)
Elle attend. Mais elle ne sait plus très bien ce qu’elle attend…depuis le temps.
Depuis le temps qu’il est mort en ce jour de printemps.
Elle attend, elle compte les jours, les mois d’absence …Déjà autant.
Elle sait bien que cela ne sert à rien de compter mais elle compte quand même.
Elle se dit qu’elle veut bien compter jusqu’à cent, mais pas, au-delà. Cent jours, cent mois, sans lui…Impossible à vivre.
Elle se dit qu’elle n’y arrivera pas … qu’elle va mourir aussi et cela lui fait quelque bien de se dire que dans cent ans au moins, elle n’en parlera plus ,elle n’en souffrira plus.
Elle attend, elle ouvre les tiroirs et lit et relit les lettres de lui. Elles commencent toutes ainsi : « Mon amour ». C’est pour ces deux mots écrits, noir sur blanc qu’elle lit et relit les lettres de lui.
Elle ouvre les albums et regarde les photos de lui : elles sont rajeunies.
Le voilà, jeune aux cheveux blonds et rieurs. Le voilà, grand aux yeux bruns et sérieux. Le voilà, vieux aux cheveux blancs et anxieux. Elle sait qu’il va mourir.
Elle ouvre l’armoire et respire, caresse les habits de lui : elles les a lavés, elles les repassés. Ils ne sentent plus… lui.
Il manque le fond, la forme de lui. Il manque la voix, il manque l’odeur, il manque la chaleur de lui.
Elle touche les photos. C’est froid , c’est lisse. Elle pleure.
Elle renifle les lettres. C’est froissé, c’est fini. Elle se mouche.
Elle s’habille de lui. C’est beaucoup trop grand, trop large pour elle. Elle rit.
Elle s’effondre dans le lit, vide de lui.
Elle lui parle toute la nuit, elle le prie de venir la prendre, tout de suite, ici, qu’on en finisse avec cette histoire si triste… Elle se fâche, elle tape, elle casse, elle crie, elle appelle au secours les pompiers, la police…
Elle explique qu’elle a compté jusque cent, qu’elle le cherche, et ne l’a pas trouvé, qu’il est peut-être caché en dessous du lit, de l’armoire, de l’oreiller, qu’il y a le feu, qu’il faut l’aider, qu’elle est folle de lui…
Elle attend maintenant et elle ne sait plus très bien ce qu’elle attend…