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Paroles Plurielles
7 janvier 2006

Ainsi soit-il (Colette)

« Elle attend. Mais elle ne sait plus très bien ce qu’elle attend…depuis le temps… »

La brise du soir emporte ces paroles sous la treille, par-delà les vignes, par-delà les mas.
Les gens d’ici savent.
Les gens d’ici se taisent.
Faut pas fouiner, toi, l’étranger !

Là, sous la tonnelle, sommeille le petit banc de bois. Il sait qu’elle s’y installera lorsque les cigales auront terminé leur concerto.

Voilà…

Marie apparaît, lascive dans son déshabillé de soie ocre. Ses longues nattes rougeoient sous la flamme des bougies.

Marie sourit .

Elle aime cette heure tardive où les fleurs se dénudent sans timidité.

Elle aime le crépuscule quand le raisin  éclate d’avoir pris trop le soleil.

Elle aime rêver sur son vieux banc  et écouter le figuier qui s’étire nonchalamment.

Oui, cet arbre a  grandi avec elle…

Son père l’a planté pour elle le jour de son baptême. Alors, entre eux, c’est une histoire de famille…

Marie sourit.

La lune  est pleine. Pleine de souvenirs à oublier.

Elle aussi sait.
Elle aussi sait …parce que chaque soir, elle était au rendez-vous. …

Maintenant encore, elle se sent coupable d’avoir éclairé la  petite chambre du premier étage au temps où Marie faisait ses prières avec son papa…

Depuis «la première fois», Marie ne veut plus parler à Dieu ! Elle l’a tant supplié de parler à son papa, de lui dire que ce n’était pas bien de jouer à papa maman avec un enfant…

Mais Dieu  a fait la sourde oreille quand elle étouffait ses sanglots sous l’oreiller. Il a fermé la porte de la petite chambre et s’en est allé sur la pointe des pieds.

Alors, comme elle était très fâchée avec Dieu, Marie descendait confier son lourd secret à son figuier, avec la lune pour témoin.

Oui, Dieu, la p’tite Marie a gommé l’insouciance de son enfance! Elle a rangé ses poupées de chiffon sans avoir eu le temps de les aimer !
Elles aussi savent.
Elles aussi se taisent .

Elles n’ont jamais raconté à Marie que Dieu a été pris de remords, qu’il a tout raconté à Monsieur le Curé…
Alors, les « jeux » ont fait place à l’absence.
Le papa de Marie a pris de longues vacances à l’ombre de l’ombre…


Tu sais, étranger, viens pas remuer le passé !
Ne t’inquiète pas si Marie sourit sous la tonnelle…
Marie a ressorti ses poupées…

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Commentaires
C
Très touchant! Avec toute la pudeur et la justesse nécessaire. Mais le choix n'est pas toujours entre le silence et la parole. Nombreux sont celles qui ont peur de devoir choisir entre le silence ... et l'absence. Le père parti, c'est parfois dur de pouvoir faire vivre le reste dela famille.
C
Merci à vous tous de m'avoir lue !
C
Coum, en t'envoyant mon "ainsi soit-il", je n'ai certainement pas cru "faire mal" à des personnes...<br /> Bien au contraire! En parler, c'est vouloir que les "silences" enfouis "parlent" enfin!<br /> Que ces personnes se libèrent d'un poids sûrement trop pesant pour leurs petites épaules...<br /> En écrivant, je songeais à de multiples témoignages de personnes qui sont nées une deuxième fois quand elles ont pu vider leur coeur ..
C
J'ai hésité...parce que, j'ai été prise par l'émotion<br /> Et j'ai pensé à quelqu'un que je connais qui vient lire ici<br /> Et j'ai eu mal pour elle<br /> Mais c'est vrai, Colette a écrit avec bcp de pudeur, un texte néanmoins très fort
V
Bien sûr qu'il fallait le publier.<br /> Pourquoi aurais-tu hésité, Coum? Ce texte est à la fois très beau et évocateur d'une réalité vis à vis de laquelle il ne faut pas se voiler la face même s'il faut l'aborder avec pudeur (comme c'est fait ici)
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