Ainsi soit-il (Colette)
« Elle attend. Mais elle ne sait plus très bien ce qu’elle attend…depuis le temps… »
La brise du soir emporte ces paroles sous la treille, par-delà les vignes, par-delà les mas.
Les gens d’ici savent.
Les gens d’ici se taisent.
Faut pas fouiner, toi, l’étranger !
Là, sous la tonnelle, sommeille le petit banc de bois. Il sait qu’elle s’y installera lorsque les cigales auront terminé leur concerto.
Voilà…
Marie apparaît, lascive dans son déshabillé de soie ocre. Ses longues nattes rougeoient sous la flamme des bougies.
Marie sourit .
Elle aime cette heure tardive où les fleurs se dénudent sans timidité.
Elle aime le crépuscule quand le raisin éclate d’avoir pris trop le soleil.
Elle aime rêver sur son vieux banc et écouter le figuier qui s’étire nonchalamment.
Oui, cet arbre a grandi avec elle…
Son père l’a planté pour elle le jour de son baptême. Alors, entre eux, c’est une histoire de famille…
Marie sourit.
La lune est pleine. Pleine de souvenirs à oublier.
Elle aussi sait.
Elle aussi sait …parce que chaque soir, elle était au rendez-vous. …
Maintenant encore, elle se sent coupable d’avoir éclairé la petite chambre du premier étage au temps où Marie faisait ses prières avec son papa…
Depuis «la première fois», Marie ne veut plus parler à Dieu ! Elle l’a tant supplié de parler à son papa, de lui dire que ce n’était pas bien de jouer à papa maman avec un enfant…
Mais Dieu a fait la sourde oreille quand elle étouffait ses sanglots sous l’oreiller. Il a fermé la porte de la petite chambre et s’en est allé sur la pointe des pieds.
Alors, comme elle était très fâchée avec Dieu, Marie descendait confier son lourd secret à son figuier, avec la lune pour témoin.
Oui, Dieu, la p’tite Marie a gommé l’insouciance de son enfance! Elle a rangé ses poupées de chiffon sans avoir eu le temps de les aimer !
Elles aussi savent.
Elles aussi se taisent .
Elles n’ont jamais raconté à Marie que Dieu a été pris de remords, qu’il a tout raconté à Monsieur le Curé…
Alors, les « jeux » ont fait place à l’absence.
Le papa de Marie a pris de longues vacances à l’ombre de l’ombre…
Tu sais, étranger, viens pas remuer le passé !
Ne t’inquiète pas si Marie sourit sous la tonnelle…
Marie a ressorti ses poupées…