C’est dimanche ! (Colette)
Il est 18h…et je suis en retard…C’est la faute au ciel !
La neige fouette le pare-brise. L’essuie -glace réplique par un mouvement cadencé de métronome.
Les mains cramponnées au volant, j’ai des envies assassines…
Elle doit sûrement regarder l’horloge !
La voiture avale les arbres un à un…
La route renifle, crache des paquets de neige souillée.
Elle va penser que je l’ai oubliée !
Un air de jazz réfrène mon désir de liquéfier cette marée humaine.
L’église Saint Vincent pointe le bout de son clocher. Encore quelques mètres avant d’arriver devant l’imposante bâtisse en pierre du pays.
« La verte colline »respire la sérénité, le calme absolu.
Je grimpe quatre à quatre les vingt huit marches qui mènent au deuxième étage.
Un interminable couloir. Des portes ouvertes sur des silences contraints. Ici, pas de clés. On ne sonne pas. On rentre tout simplement…
Je la vois de dos, rivée à la fenêtre. Comme tous les jours, elle attend. Elle attend que passe le temps, que passent les saisons, que passe quelqu’un…
Ici, il ne se passe jamais rien. Sauf le vendredi! Le vendredi, c’est dimanche ! Le calendrier s’est adapté…
Elle a senti ma présence. D’un geste lent, elle se retourne. Ses yeux brillent, pétillent.
Tout à coup, c’est dimanche ! Et elle sort son sourire, gomme ses rides, ravive ses cheveux blancs, colore ses lèvres, ajuste sa taille.
C’est dimanche !
Le dimanche, on rajeunit tous les deux.
Moi, j’ai dix ans quand je franchis cette porte !
Je porte des culottes courtes, je mange de la confiture aux fraises, je pétris la pâte à pain, j’attrape la queue du chien.
La petite chambre fleurie redevient la grande maison à la campagne. Et ça fleure bon le lait chaud, la tarte aux pommes, le foin coupé, la bouse de vache.
La petite chambre fleurie redevient le jardin de mon enfance. Et les bourgeons des pommiers éclatent au printemps, la mare aux canards se mare, les lapins dévorent les trèfles à quatre feuilles, les coquelicots rougissent de mes bêtises.
C’est dimanche !
Les leçons s’arrachent les cheveux, les bulletins tirent la sonnette d’alarme, les crayons de couleurs croquent la vie.
C’est dimanche !
Je lui tends mon petit bouquet de fleurs. Les fleurs parlent le langage du cœur.
Je m’installe en face d’elle, pour écouter parler ses yeux, ses mains, ses lèvres. Elle me dit que ce soir le soleil brillera longtemps dans sa chambre.
Elle me dit que mes fleurs annoncent le printemps. Elle me dit que les photos au-dessus de son lit la rassurent la nuit. Elle me dit qu’elle se souvient du jour où je l’ai appelée maman, elle qui ne m’a pas donné le jour…
C’est dimanche !
Les fleurs redressent la tête dans le vase.