Chute ? (Jean)
J'ai les pieds en plein ciel. Les jambes ballantes. Sur la crête, sur le mur. En arrière, la vie qui continue. Devant, l'eau et l'air infinis, l'hypothèse de la mort. Sur la route, un coup de volant suffirait. Ici, un sursaut des reins et je fais le grand saut. Ici, la paix, ni hier, ni demain. Ici, maintenant, le murmure des vagues, les montagnes brutales. J'arrêterais le temps, je resterais ici, sans détresse, sans solitude, sans manques, sans paroles. Devenir une pierre, un arbre, sans passé et sans avenir, sans efforts et sans faux-semblants. Je suis assis sur la frontière. Derrière, l'enchaînement des jours, l'inutilité, la dégradation. Devant, le non-être, l'absence. Mais d'abord, surtout, l'agonie, le choc, le froid, la douleur. Le prix à payer. Souffrir pour cesser de souffrir. pourquoi ne suis-je pas cette eau illimitée, éternellement mouvante, sans pensées ? Ou ces montagnes dures, indifférentes ?
Je m'allonge, le dos sur le mur. Ne restent, face à mes yeux grands ouverts, que le ciel déjà plus sombre. Les vagues éternelles vont, viennent. Tôt ou tard, elles m'endormiront. Au coeur de la nuit, un rêve plus violent me précipitera d'un côté ou de l'autre.