L'homme (Lorraine)
Le chemin de halage s’enfonce dans la nuit tombante. La lumière falote du réverbère cligne comme un œil borgne.
Ils ont parlé de représailles…
Dans l’obscurité de sa chambre, l’homme se redresse. Il a essuyé des tempêtes, affronté le vent debout, connu l’ivresse des cieux italiens et le goût hâlé des Tropiques. Le sablier de la vie compte, jour par jour, ses exploits et ses dérisions. Et s’il soliloque, assourdi par la musiquette du bar dont le crescendo hurle jusqu’à son premier étage, c’est parce qu’ils ont aussi parlé d’ »échange »…
Il les connaît. Depuis trois ans déjà il déjoue leurs filatures et leurs pièges. Il est seul. Ils sont trois, puissants, menaçants. Pourquoi a-t-il emporté l’infante qui trônait sur le chevalet, petit tableau de maître espagnol qui le subjugua au premier regard ? Oui, pourquoi ? Eux aussi le guignaient.
C’est l’heure. De la délivrance ? Un bref instant, sa silhouette s’encadre à la fenêtre. La route est déserte. Là, plus bas, la Meuse scintille sous la lune.
L’homme allume une cigarette ; sa pointe incandescente troue une seconde l’obscurité.
L’homme descend vers le fleuve.