La déveine, quoi (Clopine Trouillefou)
Ils sont entrés, se sont assis bruyamment, et puis je n’ai absolument aucune idée de ce qu’ils ont bien pu faire, ou se dire : les quelques onze bols blancs qui s’étalent sur cette foutue photo reflètent tous le néon accroché au plafond, et le néant de mon inspiration.
Oh, bien sûr, je pourrais faire comme d’habitude, et ruser. Inventer, par exemple, des dialogues : BOLBLANC1 parle à BOLBLANC2, BOLBLANC3 et 4 commentent, BOLBLANC 5 fait la gueule, etc.
On apprendrait des choses sur la vie secrète des bols. L’un ne pourrait pas supporter qu’on le remplisse de thé, parce que le tanin, ça tache. L’autre n’aurait vécu que les petits déjeuners à la campagne, et garderait la nostalgie de la miette de pain accrochée à son rebord. Le troisième se plaindrait du traitement inique subi en machine à laver la vaisselle, depuis qu’on a changé de marque d’adoucissant. Un autre encore, dépressif, réclamerait à grands cris un décor, n’importe quoi, une pâquerette genre arcopal, tout sauf cette blancheur déprimante qui lui sape le moral et lui donne envie de quitter la table, de faire un vol plané et de s’écraser en mille morceaux sur le parquet trop luisant. Un dernier, rêveur, voudrait tant être une tasse, avec une anse, n’est-ce pas, qu’une longue main de femmes aux ongles vernis rouges vient doucement agripper…
Oui, bien sûr, je pourrais me laisser aller à écrire un truc un peu comme ça. Mais non. Ca ne vient décidément pas, j’ai beau essayer de creuser la veine : rien, aucune chance d’y arriver.
Bref, aujourd’hui, la déveine, quoi..
Pas de bol.