Mais il ne le savait pas encore (Clopine Trouillefou)
Oko avait des idées. Il aimait bien ça. Il en prenait une dans le tas, la regardait, la soupesait, la retournait, puis la reposait. Ces idées étaient bien entendu là pour lui tenir compagnie. Il ne souhaitait pas vraiment en discuter. Elles étaient juste là, devant lui. C’était ses idées. A lui. C’était plus commode.
Oko avait une petite amie, pour la fustiger, bien sûr. Elle ne parlait pas, n’avait pas de visage, pas de silhouette, ne bougeait pas. Elle était là pour sourire à Oko, et se faire gronder quand elle arrivait en retard. Oko aimait bien la faire arriver en retard, parce qu’il aimait bien la gronder. Oko n’avait même pas donné de nom à sa petite amie. Il la convoquait quand il voulait, quand il en avait besoin , n’y pensait plus dans la minute où il la renvoyait. C’était bien mieux qu’une vraie. C’était plus commode.
Oko avait une bonne opinion de lui-même. Ca lui permettait de traverser le hall de la fac de Lettres de Toulon en méprisant un peu les autres étudiants. Oko savait qu’il faisait du bon travail, qu’un jour il aurait un emploi et pourrait partir. Il s’attendait donc à ce que les autres lui laissent la place. Ce qu’ils faisaient d’ailleurs, généralement. Sans un mot. Mais ça arrangeait OKo. C’était plus commode.
Oko, un soir, prit un cahier, un journal, et sortit de sa chambre d’étudiant, soigneusement rangée et décorée. Il s’assit sur la jetée, face à la mer. Il ne regarda pas la mer. Il fit semblant de lire le journal, en se cramponnant aux feuilles, à cause du vent. Son livre d'études restait fermé près de lui.
Oko, brusquement, sauta de la jetée et marcha dans la mer, loin, jusqu’à ne plus avoir pied. Il avait oublié qu'on pouvait en mourir, si l'on ne savait pas nager.
Et en fait, il avait oublié qu'il ne savait pas nager, qu’il ne le savait pas encore.