Les gradins attendent (Lorraine)
Arlequin quadrillé, tu vas sur la piste ronde ensablée, tel un David affrontant Goliath. Les gradins attendent. Ton geste ou ton erreur, ta pirouette ou ta pitrerie.
Et moi, au premier rang, subjuguée, j’attends ton regard. Tu jongles, ils applaudissent. Tu bondis, ils tapent des pieds et des mains. Tu te hisses sur le plus haut tremplin. Ils se taisent. Et j’ai peur.
Le trapéziste est beau. Toi aussi. Le tambour roule. Deux corps accrochés l’un aux chevilles de l’autre, s’élancent dans le vide. Je ferme les yeux. Tu atterris, une rose à la main. Et tu me la tends, à moi la spectatrice du premier rang dans ce cirque de province. Je passe mes vacances non loin, c’est la troisième fois que j’assiste au spectacle, pour toi, seulement pour toi. Ton sourire est doux. Tu repars en dansant.
Là-haut, sous le cintre, le projecteur t’illumine, ton habit scintille. J’ai peur.
Tu t’envoles. La foule hurle. Il a suffi d’une seconde. Pantin quadrillé, le sable absorbe ton sang. Agenouillée près de toi, je sanglote et ma robe bleue, elle aussi, s’imprègne de rouge.
Longtemps, je ne pourrai plus entendre la chanson de Brel : « Le rouge et le bleu ne s'épousent-ils pas?»…
Pardon, je crois que c’est le noir ? Excusez-moi, j’avais oublié…