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Paroles Plurielles
4 juillet 2006

BELGRADE (Pivoine Blanche).

AVIS: "l'unique ascenseur de l'immeuble est momentanément hors d'usage."

"DA. DA." murmurent les habitants, fatalistes... Heureusement que la VODA
existe.

Belgrade.

Quelque part, en Serbie. Un building. Echappé aux bombardements. Chaque
dimanche, au pied de la tour, il y a un marché d'où l'on ramène des kilos et
des kilos de poivrons rouges. Verts. Bleus. Orange. L'ascenseur embaume le
poivron.

L'homme de ma vie habite au dernier étage de l'immeuble. C'est-à-dire, au
23ème. Les jours de grand vent, l'immeuble se balance, doucement, de droite
à gauche, de gauche à droite, d'est en ouest, du sud au nord et les parfums
de poivre et d'aubergine cuite envahissent la ville. Enfin, ses ruines. Car
rien n'a été reconstruit. Tous attendent, paisiblement, que les
Européens -ou les Américains- reconstruisent ce qu'ils ont bombardé, en
priant Jésus Maria Joseph pour que l'uranium appauvri soit un fantasme et
non une réalité.

C'est donc là que vit l'homme de ma vie, et si je n'étais habituée à ses
frasques: courir sous les balles à Kigali, foncer à travers un feu de
brousse, passer de la brinquebeloterie aux frontières algériennes sous des
épaisseurs de couches-culottes et de boîtes de saucisson (que d'impuretés!),
je me ferais un sang d'encre. Il me rassure en me rappelant qu'il fait du
stretching, de la gymnastique, qu'il s'est mis au thé vert, et que vraiment,
vraiment, entre Bruxelles, ses valises, les aéroports, les transits et
Ouagadougou, c'est sûr, il déstresse.

Jusqu'au jour où - un soir plutôt, il rentre à la maison se changer, en vue
d'un festin entre hommes d'affaires, en ville. Catastrophe: l'ascenseur est
en panne. "L'unique ascenseur de l'immeuble est momentanément en
dérangement!" Vous vous rendez compte? Vingt-trois étages à grimper! Il a le
coeur d'Eddy Merckx, au moins, mon homme ! Après sa grimpette, sa douche, un
verre d'eau, il redescend, tout fringant, barbe parfaite, chemise en soie,
écharpe blanche, smoking, humant bon mon parfum préféré (qu'il me pique
régulièrement), et s'en va réveillonner. Poivrons farcis, fromage de brebis,
mamaliga, quartiers d'agneau, salades variées, jambon de montagne, pain
comme à la maison, tout est délicieux.

Et c'est l'heure de se séparer. Entre le centre-ville et le quartier où mon
homme habite, il y a un no man's land inquiétant, celui des ruines, des
parties bombardées. C'est là que je n'ose jamais me promener, quand je
réside chez lui et que je voudrais aller au centre. Alors, je l'attends, je
lis, je dessine. Et il rentre.

Mais ce soir-là, quand il rentre, il ne voit même plus la pancarte "l'unique
ascenseur de l'immeuble est momentanément hors d'usage."

Non! Tout simplement parce qu'il y a une panne d'électricité. Il va falloir
monter les vingt-trois étages à pied, et à tâtons, juste à la lumière de son
téléphone portable dont la batterie commence à faiblir.

Il ne se rappelle plus comment il est arrivé chez lui. Il lui semblait voir
des paysannes en foulard et tablier fleuri brassant la polenta, se gaussant
de lui! Il hallucine, sa tête lui fait mal, c'est dit, il va déménager, et
cette fois-ci, son appartement, il le choisira en ville...

Et pas tel une balancelle sous un soleil calcinateur.

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Commentaires
L
Si tu adores les poivrons, Pivoine, moi j'adore ton récit! Excellent! <br /> <br /> Lorraine
B
C'est chouette de voir comment se construit une histoire.
C
Merci Pivoine de nous donner les détails de cette composition vraiment spéciale...<br /> Merci Nuages pour tes reportages qui conduisent à l'écriture... (et toi cher Môsieur??????????? Tu t'y mets quand???????
P
Deux histoires d'ascenseur hors service me sont venues en tête... Il y a l'ascenseur de mon immeuble, mais quand il est en panne, il y a ceux des autres "ailes" qui permettent de monter à l'étage technique et de rejoindre son "aile" et de descendre (plutôt que de monter) à son étage...<br /> <br /> Et cette histoire est arrivée à un ami, et je la trouve intéressante, car, comme toute anecdote, elle s'insère dans un contexte, lieu, temps, et les no man's lands de Belgrade -non reconstruits, sont une réalité. De même que lorsque des touristes se hasardent dans la campagne, il leur faut parfois faire demi-tour, pcq il n'y a plus de pont. <br /> <br /> Et puis, il y a le reportage de Jean des Nuages, que je suis attentivement, l'air de rien, et des souvenirs d'un livre de cuisine des pays balkaniques... <br /> <br /> Et puis, j'adore les poivrons :)
P
oui, c'est une drôle d'épopée... et une magnifique narration, comme d'habitude :)<br /> <br /> j'aime beaucoup..."Et pas tel une balancelle sous un soleil calcinateur."<br /> <br /> tellement bien rendu !
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