la maisonnette (Pati)
"L'unique ascenseur de l'immeuble est momentanément hors d'usage"
eh bien ils préviennent tôt... l'affichette, plaquée à la va-vite sur la lourde porte de bois est écrite à la main, écriture maladroite, et enfantine. on distingue même de petits coeurs sur les " i ". "d'habitude, ils la collent sur l'ascenseur... enfin, bref!" en panne ou pas, faut y aller, comme on dit ! un dernier regard dans cette rue déserte du Marais, et me voilà qui pousse la lourde porte. Ouf ! qu'elle est lourde! à peine franchi le seuil, je me retrouve dans un charmant patio à l'espagnole, d'une magnifique fraîcheur ! c'est ça, le charme de ces grosses portes : il se cache derrière elles des trésors inattendus en plein coeur de Paris !
charmée, j'avance lentement. je suis littéralement au coeur d'un océan de verts. vert brun, les troncs d'orangers ; vert tendre, les feuilles des rhododendrons ; vert vif, la peinture des boiseries. de-ci de-là, j'aperçois des touches de couleurs franches, fuchsias, orchidées, citrons murs prêts pour la cueillette. le patio regorge littéralement de plantes ! au centre, un murmure frissonnant me signale qu'une fontaine oeuvre à la fraîcheur bienfaisante de l'endroit.
un instant déconcertée, je me met à la recherche de l'entrée de l'immeuble. j'ai rendez-vous à 15 heures, et je suis déjà en retard ! ah ! la voilà ! tout au fond du patio, pile devant mes yeux! j'entame la traversée de ce fleuve vert. mais... pas envie de me presser, l'endroit est si calme... si frais... la quiétude m'envahit, les parfums enivrants des bougainvilliers me retiennent au coeur de cette jungle accueillante. j'ai de plus en plus de mal à me frayer un chemin, l'entrée semble s'éloigner à mesure que je m'en approche.
"mais qu'est-ce que c'est que ce cirque ? allez ! secoue-toi, bon dieu!"
un énorme eucalyptus me barre la route. je le contourne et aperçois, juste sur la droite de l'entrée, une petite maisonnette, du genre de ces petits chalets en bois, vous savez ? très mignonne, d'ailleurs. les volets ont été décorés par un artiste local, les peintures sont naïves, colorées.
ce sont des bustes. il y a une danseuse de flamenco, qui tient la pose de la Joconde "eh ben, elle a changé, la Mona!", sa robe fuchsia s'accorde aux fleurs qui l'envahissent. sur l'autre pan de mur, c'est un jongleur, ses balles ont le même ton fuchsia que la robe de la Joconde "à croire qu'il avait un stock de peinture rose fuchsia à écouler, le peintre..." l'artiste a, apparemment, entamé une troisième peinture, mais elle n'est pas finie. on devine juste ses mains, aux doigts longs et fins comme ceux d'une pianiste, quoique... on distingue de petites cicatrices, sur les doigts, comme....
"mais entrez donc ! pourquoi restez-vous dehors? il pleut à verse ! vite! venez vous mettre à l'abri!" c'est vrai qu'il pleut ! je ne m'en étais pas rendue compte, absorbée dans la contemplation de ces toiles sur bois. sans réfléchir plus avant, j'entre.
"je ne reste pas. mademoiselle Duguet m'attend, je suis sa couturière. je viens pour finir les retouches à sa robe de mariée. mais !! mais non ! qu'est-ce que vous faites ?!! NON! NOOOOOOOOON...."
comme tous les lundis, à sept heurs pile, le facteur pousse la porte. c'est l'heure de sa tournée matinale. il n'aime pas venir ici. Sait pas bien pourquoi, notez... c'est juste... une drôle d'impression. et à chacune de ses visites, c'est la même histoire : dès qu'il approche de la maisonnette, il presse le pas! il est, d'un coup, saisi d'une furieuse envie de foutre le camp, et ne doit de se ressaisir qu'à une puissante volonté ! mais là, bien obligé de s'arreter !
"mon dieu, encore une!"
il se met soudain à courir, à déguerpir plus vite qu'un lièvre poursuivi par un chasseur, et disparaît dans la rue, plantant là son sac de courrier!!
la porte de la maisonnette, la semaine dernière encore vierge, était décorée d'une nouvelle peinture. Une femme. Belle, jeune, brune aux yeux verts. son chemisier fuchsia met bien en valeur son décolleté avantageux. elle tient dans ses mains ses outils de travail : une paire de ciseaux, un dé à coudre, et une pelote de dentelle blanche ...