L’Eros agricole. (Charlotte)
Marguerite est vachement bandante.
Elle a tout pour plaire : de grands yeux noirs dans un regard mendiant de
bête, un gros ventre qui se balance de gauche à droite à chacun de ses
pas, et sous lequel pend une bonne mamelle dotée de quatre longues sucettes
, enfin, une croupe prometteuse d’où s’échappe une queue insolente,
légèrement poilue qui fouette et chasse le vent, les mouches et tout
indésirable. Les bœufs par exemple.
Tout en chair et graisse, elle s’adonne affalée dans le pré, après une
journée bien mouvementée, à son occupation favorite : la rumination de ses
ébats avec Julos, décoré, reconnu, le taureau , champion de l’année 2006
pour une jouissance et reproduction assurée.
Elle mâche et remâche ses rêves à goût de trèfles .Ils remontent à la
surface de sa bouche qui s’ouvre et se ferme mollement. Elle les lape, les
caresse avec sa langue rouge bavante !
Ca la repose et la remue à la fois.
Marguerite est amoureuse : cela ne se voit pas, mais cela se sent.
C ’est d’ailleurs , maintenant, le bon moment, après la fin de l’allaitement
du printemps.
Du fond de ses entrailles animales, les chaleurs réveillent ses sens et sa
voix de femelle se fait meuglante.
Marguerite se met en chasse. C’est après Julos qu’elle en a. C’est après
Julos qu’elle en veut .
Le fermier et la fermière connaissent leur métier et la chanson. C’est la
même, chaque année.
Ils conduisent alors, Julos tout frais et tout prêt à foncer droit
dedans,dans la prairie pour la noce à la Marguerite .
Et que ça chauffe … et que ça danse , saute et se saute autant que faire se
peut .
Julos est un bovin toujours vaillant, malgré les années.
Il dort seul, tout au fond de l’étable, attaché par l’ anneau à son nez.
Aussi, il est content aujourd’hui . C’est son jour de récré. Il s’y connaît
pour combler ces petites folles de Marguerite et les remplir d’un jatte de
semences qui feront les petits du nouvel été…
Il entre en transe et en jeu :c’est son tour de piste, et il y va, fier
et fiévreux à la fois, de toutes ses lourdes pattes, de toutes ses forces,
faire la fête à ses vaches.
Mais patatras, voilà- t-il pas qu’alors qu’il prenait son élan, il s’étale,
imbécile, à plat au milieu des pâquerettes et ça fait un boum immense et
grotesque qui fait rire ces dames et hurler le fermier et la fermière.
Pauvre bête !
Plus bon à rien, même pas bon pour la boucherie !
Voilà ce qui arrive, quand on voit trop grand , quand on est déjà vieux !
Le cœur de Julos s’esclaffe une petite dernière fois de plaisir et c’est
fini. Flop !
L’an prochain, on ne parlera plus de lui ,on ne connaîtra même plus son nom
..
Ce sera la fécondation in intéro avec une seringue géante directe dans le
ventre de Marguerite qui n’aura même pas le temps de voir venir quoique ce
soit !
On appelle cela ,l’insémination artificielle.
Cela n’a rien de drôle, c’est même vachement dégoûtant, c’est le progrès
parait-il !
« Eh bien ,non merci »se dit Marguerite.