Le requiem. (Oncle Dan)
Je ne l'aime pas mais tant pis.
Les sentiments que je nourris à son égard - pour ce qui est de leur température - ne sauraient suffire à faire fondre un centigramme de suif.
Je ne supporte pas sa vie dissolue, ses fêtes incessantes où il s’agite comme un diable sur le piano. Croyez-moi, après une heure ou deux, ses aisselles perdent de leur charme et je ne vous parle pas des effluves de ses sudations pédestres.
J’abhorre surtout sa grossièreté et les propos scatologiques qu’il tient. Même avec sa mère.
Je déteste en particulier sa façon de rire. Il éclate d’un de ces rires exaspérants d’imbéciles bruyants et à pleine mâchoire dont il a le monopole.
Mais ce que je ne lui pardonne pas, c’est cette facilité qu’il a de composer, de jouer et de remporter des succès à répétition pendant que je peine, tendu corps et âme vers l’horizon sans cesse plus lointain de la réussite.
Qu’a-t-il donc de plus que moi ?
J’ai tout de même été compositeur de la cour puis directeur de l'opéra avant de devenir le Maître de chapelle de l'empereur.
Mais que peut valoir ma musique alors que l’on ne jure que par lui ? Que pèse ma carrière quand on répète à l’envi qu’il est génial, le plus grand de tous, l’incontournable, celui que tout le monde s’arrache ?
Allez ! Il est malade. A l’heure où je burine ces lignes lapidaires, il a besoin de moi pour écrire sous sa dictée les notes d’un requiem.
Non, je ne l’aime pas, mais tant pis. Je ne peux rien refuser à Mozart.
Antonio Salieri