J'adore (Wictoria)
Je ne l'aime pas, mais tant pis car ce soir est le grand soir, avec un S majuscule comme Soie. La soie de ma robe qui épouse mes formes, pareilles à une contrebasse. Je la trouve un peu trop moulante à mon goût mais il m'aime ainsi. D'ailleurs, il ne voit rien de mes défauts, ceux qui me contrarient tant, ceux qui rendent les jours un peu moins lumineux, ceux qui me retiennent d'être totalement moi-même, parfois. Il voit beaucoup de choses que j'ignore.
N'y pensons plus car dans quelques heures je serai dans la salle murmurante et incapable de deviner les chuchotements, toute entière à la mesure de mon cœur qui va battre la chamade, l'arythmie de ma joie. Je n'aurai qu'à m'asseoir sans tenir compte de cette robe qui me froisse, cette robe qu'il a choisie pour moi et qui m'épouse comme une gaine implacable, comme une armure douce et fluide, carapace impertinente où mes seins renaissent.
Je n'aurai qu'à poser mes doigts sur le noir et le blanc du piano, me laisser emporter dans le monde invisible, équilibre affolant d'un univers percutant, vibrant dans les âmes, soufflant sur les souvenirs, musique toujours unique et sans cesse renouvelée, comme un instant d'amour. Je serai seule devant ma peur, la proie des fantasmes les moins avouables, l'attaquante des symphonies les plus inachevées et tu seras dans l'ombre efficace de la foule, admiratif.
Quand le concert s'achèvera, je te chercherai des yeux, heureuse et maladroite comme un enfant le jour d'une rentrée des classes. Tu me feras signe, discrètement. Un battement de cil, un sourire complice me fera patienter. Je boirai sans doute une coupe de Champagne, peut-être deux. J'adore. J'oublierai alors que dessous ma robe je ne porte rien, rien d'autre que ma féminité en éveil. Dès que possible, je te rejoindrai. Tu me chanteras « Si seul ». J'adore !