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Paroles Plurielles
6 octobre 2006

Le dernier pas (Bugul An Aod)

Au matin, le verre était vide. Encore un matin, un matin pour rien. Encore un matin, sans raison ni fin. D’ailleurs, c’est bizarre que justement ce soit cette chanson de 1984 qui passe en ce moment sur sa radio, c’était justement Sa chanson préférée… Et Lui, Il ne sait plus trop comment il était arrivé là, à 500 kilomètres de sa vie actuelle …

Les nervures du bois du bar comme unique lien. Attablés chacun un verre à la main. La nuit qui s’accentue au loin. La soirée qui touchera bientôt à sa fin. Des souvenirs au bord du cœur. Parfois même des rancœurs. Un sourire exquis, auquel un frisson répondit. La flamme devint jolie et aux appels de cette sirène, Il répondit … Voilà les derniers souvenirs qu’Il a vraiment avant de se retrouver là, dans la grisaille matinale, de ce matin automnal, devant ce verre vide.

Cela fait quand même quelques années qu’Il n’était pas venu ici … sur la terrasse de ce café, même si Il ne sait pas trop comment il y est arrivé. Mais puisque Il est là, Il va le faire se pèlerinage qu’Il repousse sans cesse depuis des années … depuis 1984.

La journée s’est écoulée, au rythme de tous ces lieux magiques, Loguivy de la Mer, L’Arcouest, Bréhat, Pors Even, Ploumanac’h, Perros Guirrec … Et tout au long de la journée ce sentiment étrange de Sa présence, immatérielle et de plus en plus présente au fur et à mesure qu’Il errait sur les traces de Sa jeunesse. 

Ce soir, le ciel bas et chargé de lourds nuages noirs annonce la tempête. Le vent souffle de plus en plus violemment et soudain, il est sur d’entendre Sa voix. Encore un mirage ? Comment entendre Sa voix alors qu’elle n’est plus là depuis si longtemps ? Comment sait Il que c’est Sa voix, il ne l’a plus entendue depuis si longtemps. Pourtant, Il sort, dans le vent glacé et la pluie cinglante. Il part à Sa recherche, Il sait où aller, où La retrouver.

Plougrescant … Castel Meur, la petite maison entre les rochers est à peine visible lorsque Il se gare sur le petit parking désert à cette heure si tardive. Fouetté et aveuglé par la pluie dont la force s’accroît à chaque seconde, Il avance sur ce petit sentier qu’Il connaît par cœur, Il passe par dessus la petite barrière et laisse Castel Meur à sa droite. Là encore, Il a cru l’entendre, mais surtout  Il est sur de La voir , assise à quelques mètres à peine du gouffre, sur ce rocher en granit où Ils aimaient tant se retrouver. Acharné par l’illusion si réelle de pouvoir enfin la rejoindre, Il lutte contre cette pluie et ce vent qui le fouettent et lui hurlent des menaces de mort. Il a l’impression de ne plus toucher terre, Iil ne sait plus si Il marche sur des volutes de nuages, Il ne sait plus si Il est emporté comme un fétu de paille par la tempête tant le ciel est bas, se mélangeant à la mer. La pluie l’aveugle et l’étouffe, Il se sent tomber à chaque pas et pourtant Il avance encore. Il rampe, plus acharné que jamais avec le fol espoir de pouvoir La rejoindre alors que depuis tant d’années déjà Elle n’est plus là.

Il n’a jamais oublié ce jour fatidique où, sur son lit d’hôpital, Elle lui avait déclaré son amour dans un dernier « je t’aime » dans lequel Elle avait mis tout le peu de force qu’il lui restait. Il n’a jamais oublié ces quelques secondes qui sont devenues pour lui une éternité. Depuis ce jour, Son visage hante Ses nuits, danse devant Lui, presque réel, et lorsque Il s’en approche disparaît pour réapparaître aussitôt quelques mètres plus loin.

Aujourd’hui, Il sent, Il sait qu’Il va enfin pour L’atteindre, pouvoir enfin à nouveau La serrer dans Ses bras. Plus que quelques mètres et Son souhait le plus cher depuis Sa perte pourra se réaliser. La tenir dans ses bras ! Elle est là, juste en face de Lui, si proche et pourtant si lointaine. Devant lui, s’ouvre le gouffre au fond duquel la mer se déchaîne dans toute sa splendeur et sa force, dans un vert émeraude perlé d’écume blanche. Elle est là, juste devant Lui et  L’invite à la rejoindre, Elle l’attend. Un pas, rien qu’un tout petit pas pour enfin pouvoir La toucher, pouvoir oublier les souffrances de ces années de solitude.

Il souhaite tant La retrouver depuis le jour à la terre a recouvert pelletée après pelletée le cercueil de bois blanc qu’Il avait choisi et pourtant Il hésite ! Un pas pour être uni à Elle pour toujours, un pas et laisser derrière lui tout ce qu’Il a. Une grande carrière en tant que médecin, une jolie maison, … Elle est là, devant lui, le visage aussi pâle que dans Son souvenir, Ses yeux bleus exprimant toujours cette joie de vivre mêlée de mélancolie. Elle est là. Elle lui tend la main … Il la saisit. Il fait ce pas. Le dernier dans un sens, le premier dans l’oubli et la sérénité. Il rejoint enfin sa Bansidh.

Si vous voyez deux colombes s'envoler du rocher surplombant le Gouffre de Plougrescant les soirs de tempête, il ne s'âgit que de leurs âmes enfin réunies.

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Commentaires
S
Mélancolique ballade en terre bretonne ; il semble que les éléments se soient donnés rendez-vous pour soutenir le sentiment du narrateur. On "visualise" très bien l'atmosphère de cette dernière marche, de ce dernier pas. A relire, je vois la pluie, je sens le vent, et j'accompagne le marcheur jusqu'au bord du précipice... C'est très bien rendu.<br /> <br /> Je ne dirai rien sur la longueur ;-) mais, et c'est peut-être trop subjectif pour que je donne mon avis, il y a certains passages que je n'aurais pas écrit de la même façon (certaines répétitions, "Il" notamment, phrases "trop courtes" qui font un ton saccadé qui ne colle pas toujours avec l'ambiance ; mais comme je le dis, c'est ma sensibilité et ma propre façon d'écrire, ne t'offusque pas de cette remarque)<br /> <br /> Par contre, et même si je comprend l'intention, je trouve que la majuscule sur les pronoms possessifs alourdit inutilement le texte. Il, Sa, La, Leur, Son... je ne pense pas que ça apporte grand chose à la compréhension. Mais encore une fois, ce n'est que mon point de vue !
C
Dis, tu me croiras si je te dis que je les ai vues ce matin, les deux colombes? Elles s'amusaient avec les vagues et je crois qu'elles n'étaient plus tristes...
P
non, Bugul, j'ai corrigé tes fautes (très exceptionnellement, qu'on se le dise , tous ! ;op )<br /> <br /> celle-là, je l'ai laissée, je ne savais pas si tu avais fait exprès ou non :))
B
Merci pour vos commentaires.<br /> <br /> C'est vrai, à le relire, je pense que je pourrai gagner un peu en intensité, le condenser un peu plus, je vais y songer d'ailleurs, mais je ne voudrai pas trop altérer ce texte qui a une histoire ... il a été écrit pour sa plus grande partie en 1984 et je l'ai "retouché" un peu il y a quelques mois. <br /> <br /> Oui, j'avoue, jai "triché" sur la consigne ... j'ai juste adapté quelque chose que j'avais déjà écrit, mais j'expliquerai pourquoi plus bas ;)<br /> <br /> Pati, pour les "fautes de frappe", si tu fais référence aux "lorsque il" ... c'est décidé, je désactive définitivement le correcteur orthographique ... <br /> <br /> Alainx, ton photo-montage lorsque je l'ai vu m'a immédiatement fait penser à ce texte que j'avais écrit et j'ai donc voulu l'adapter (voila pourquoi j'ai "triché"). J'en suis donc d'autant plus heureux que tu y retrouves des symboliques de ta photo.
A
J'aime bien l'atmosphère de ce texte, là aussi je m'y retrouve au regard des symboliques de ma photo (désolé d'y revenir, mais c'est mon regard forcément...)<br /> Sur la forme, je partage le point de vue de Pati, tu lui donnerais une intensité plus grande en le condensant. Ca vaudrait la peine car le texte est fort...
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