La mer à boire ( Colette)
Au matin, le verre était vide. La mer avait tout bu, s'était noyée dans l'eau de vie. Elle était pleine et se riait des bateaux et du vent et de la lune.
Là-haut, l'enfant de la falaise avait tout vu, tout entendu! Elle s'était saoulée comme les marins les soirs de désespoir. Et l'enfant se demandait d'où lui venait ce grand chagrin...
La mer montait le ton, vacillait à outrance, léchait l'écume dans de grandes lampées, tutoyait Dieu. C'était sa façon à elle de se vider la tête, d'en oublier le phare, la falaise et la ligne d'horizon. Elle avait trop roulé sa bosse, s'était frottée aux marins. Elle avait porté caravelles et bateaux poubelles, bouteilles et messages, vagues et coquillages, phosphates et nitrates, courts-bouillons et oiseaux mazoutés. Elle avait soulevé le soleil à chaque aurore, l'avait plongé dans le bain à chaque crépuscule, depuis l'éternité. Elle avait...
Au soir, le verre était plein. La mer avait tout reversé, s'était parfumée d'embruns de vie. Elle était vidée de rancoeurs et souriait aux bateaux, au vent et à la lune.
Là-haut, sur la falaise, une main d'enfant se tendait vers l'horizon...