Libre (Farfalino)
Au matin, le verre était vide. Aucun cauchemar nauséabond et poisseux ne s'était déversé dans le verre à rêves. La nuit s'était déroulée avec le calme et la douceur soyeuse d'une mer d'huile embrasée par un soleil ensanglanté. Il s'était reposé, enfin ! Son esprit était libre, puissant, clair, débarrassé de la lourde boue gluante de ses tourments. Il était maintenant pareil à l'aigle qui sent, dans ses plumes, la caresse et la force du vent, le portant vers la fontaine inextinguible des joies de la vie. Il abandonnait aux rats avides de chairs pourries sa carcasse usée sur le sol spongieux de son cachot humide. Plus haut, toujours plus haut. Il ne contemplait pas la terre qui voulait le retenir, il était happé par le ciel, traversant les nuages sucrés de bonheur. Il était libre !
Et très en retard. Sa femme le secoua.
"Il est 8h03. Tu te feras du café. Ton sandwich pour ce midi t'attend sur la table."
Le verre était rempli des larmes versées pour les rêves oubliés.