perplexe (Brigetoun)
Au matin le verre était vide - je m'en suis aperçu en entrant dans la cuisine pour faire la vaisselle. Ou plutôt tous les verres étaient vides. Je les ai regardés d'un oeil embrumé - pour les autres c'était normal, mais le mien ? En faisant couler de l'eau dans l'évier, j'essayais de me souvenir - l'avais-je vidé dans ce même évier, avant de le poser à coté des autres sur la paillasse et de décider de remettre leur nettoyage au
lendemain ? Ou, momentanément transformée par leur présence, les trois revenants, l'aurais-je bu, par hasard ? Cette bouche sèche et cette légère douleur derrière les sourcils... Je me suis versé une tasse de café froid. En même temps, j'avais chaud - oublié d'éteindre le radiateur ?
Avant d'attaquer les assiettes, j'ai poussé d'un grand geste - agréable détente des muscles - les volets, et je suis restée béante... J'avais sans doute bu ce fond de verre et pour moi c'était trop. Au dessus de la barrière de mon jardin, la colline d'en face flottait - et elle s'était métamorphosée pendant la nuit. Je distinguais à contre-jour la maison de Gus, et une silhouette qui devait être lui, mais la terrasse au dessous s'était pourvue d'une drôle de courbe, aboutissant à une énorme main qui lâchait dans un geste improbable un oiseau aussi gros qu'un petit Morane. Etait-ce Gus qui se prenait pour Noé - une nouvelle lubie ? Ou le vin ? de toute façon elle n'était vraiment pas belle cette arche, et, juré, même pour être polie avec mes invités, je ne boirai plus jamais - en plus je déteste ça.