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Paroles Plurielles
14 octobre 2006

Minérale (Pati)

Au matin, le verre était vide. La coupe était bue, jusqu'à la lie. J'avais épuisé mon capital humain. J'étais devenue montagne.

Minérale.
Minée, râle...

J'ai perdu mon corps. Seule me reste ma face, agglutinée à cette roche battue par la houle nocturne et bleutée. Ce halo bleu qui me relie au monde et qui souligne ma désespérante solitude face à une mer déchainée... Partis, mes bras ! Parties, mes jambes ! Disparus, mon buste, mon sexe, je n'ai plus de sexe. Je suis un ange ?
Je me souviens juste m'être couchée sur cette falaise, ma tête dans l'herbe et mes yeux plantés dans le bleu scintillant d'un ciel limpide. J'ai dû m'endormir. C'est la rosée qui m'a réveillée. Perles d'eau claire et glacée, glaçante réalité de ma nouvelle condition.

Une maison a poussé sur mon front. La cheminée me brûle l'âme, je ne peux plus penser. Toute la journée, on a piétiné mon nez, on a pique-niqué dans ma bouche, en étouffant mes appels au secours, on s'est amoureusement vautré sur mes yeux, pourtant ouverts... Ouverts sur ce néant peuplé qui m'entoure et me fixe au sol tel un papillon épinglé sur sa planche. Je ne peux plus voler. Prisonnière du temps, de la Terre et de mon cauchemar, je reste là, à hurler ma rage mais personne ne m'entend.
Qui est là, pour se soucier d'une montagne qui pleure ? Qui, pour entendre ma peine ? Qui, pour pleurer l'endormie de la falaise ? La mer se rit de moi. Se moque de mes cris... Mais je m'en fous, un dernier pied-de-nez, une dernière pirouette, cacahuette... le facteur s'est cassé le nez. Mais j'ai gagné.

Ce goéland qui s'enfuit, là, vous le voyez ? C'est mon âme qui s'envole, qui fuit ma prison de pierre, mon âme que je libère ... et que vive la Vie !

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Commentaires
C
Bravo, Pati pour ce texte très surréaliste!<br /> Pauvre montagne qui porte le poids du monde! Mais<br /> l'espoir renaît, dans les ailes de l'oiseau. Une âme prend son envol pour de meilleurs lendemains....<br /> Superbe, Pati!
P
oui, tu peux ;)<br /> <br /> lautréamont... amusant ! je l'ai lu mais avoue n'avoir pas pensé à lui en écrivant :)
S
Pati, le début de ton texte me fait penser à Lautréamont (que j'avoue ne pas avoir lu, mais ça n'empêche pas d'en parler ^^), cette transformation d'un corps en autre chose, et pourquoi pas en montagne, c'est cela que ça m'a évoqué.<br /> <br /> Comme le dit Coumarine, heureusement qu'il y a la dernière phrase pour apporter une touche d'espoir. "...pour peu qu'on les libère" : je dois voir une allusion ? ;-)
W
Mais oui, toi aussi tu as écrit un texte surréaliste !<br /> La femme Gulliver porte sur elle l'univers, la folie...des Hommes.
D
Sincères félicitations Pati. Et tu colles parfaitement à la consigne.
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