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Paroles Plurielles
23 octobre 2006

Train-train (Valclair)

Alors qu’est-ce qu’il fiche ce train ? On est là à poireauter sur ce quai de gare, ça fait déjà une heure qu’on devrait être parti...

Le père Genou comme d’habitude il a l’air d’avoir avalé son parapluie.
C’est pas lui qui va protester aux Chemins de Fer, qu’on est là à bailler aux corneilles plutôt que de filer vers la belle bleue. Il a l’air fin là, tiens, figé comme une baderne qu’il est, dans son pardessus qu’il garde été comme hiver, avec sa bouille enfarinée avec sa moustache ridicule et ses carreaux de myope...

Quelle idée d’avoir épousé Genou ! C’est ma mère qui m’a poussé. De l’avenir qu’il a, qu’elle disait, le jeune Genou. De là où tu viens profites-en. Alors moi, j’ai dit Oui. Déjà s’appeler Genou, c’est pas pensable ça. Vous croyez que ça vous classe de vous appelez Genou! Dernier clerc chez Maître Ravoux il était, dernier clerc il est toujours, il y en a qui lui sont passés devant, faut dire que c’est pas une flèche le père Genou, un tranquille ça oui, un empoté tu veux dire...

Et les mioches ! pas mieux les mioches. C’est moi qui les ai faits ? Faut croire un peu quand même. Mais juste un peu. Ce sont de vrais Genou hélas, les rejetons du gros balourd ça oui, pas plus vifs, et qu’est ce qu’ils vont faire dans la vie, je vous le demande, Robert il parle de faire comme son père, la belle affaire, quant à Marcelle, elle ne parle de rien, moi je ne la vois pas faire un beau mariage…

Ah oui je valais mieux que ça moi. J’aurais dû partir à la capitale. J’aurais eu autre chose que des Genou, je vous le dis. C’est que j’étais pas mal de ma personne. Et que je le suis encore d’ailleurs. Et du chien avec ça…

Le garçon boucher il a l’air d’apprécier. L’autre fois il m’a fait venir dans l’arrière boutique. C’est qu’il m’a lutiné un peu l’animal. Ses grosses paluches sur ma poitrine et sur mon popotin, ça m’a fait des choses, hé, hé c’est que j’ai la mamelle avantageuse moi et ardente quand on la papouille, ça m’a fait glousser un peu trop fort, mais enfin je lui ai dit « pas touche » parce que quand même on n’est pas n’importe qui et le garçon boucher qu’est ce que vous voulez que j’en fasse…

Ah c’était autre chose l’autre année quand le cousin de Maître Ravoux, celui du château, était venu et qu’il voulait s’installer dans le bourg, c’est qu’il était beau celui-là et quelle prestance, là je crois bien que c’est moi qui ai commencé, je lui en ai lancé des regards ardents pendant le déjeuner à l’Etude pour le départ en retraite du premier clerc (même que ce n’est pas Genou qui lui a succédé !). Et après quand on s’est promené dans le parc pour digérer, c’est moi d’abord qui lui ai fait des niches, il m’a mis la main là où il faut mais il rigolait et ce n’est pas allé plus loin, en partant il m’a dit d’une voix moqueuse : « Hé, hé, mais vous n’y pensez pas, vous bovarysez, ma pauvre amie », je sais pas bien ce que c’est que cette bête là…

Bon moi, j’aurais voulu aller sur la Riviera cette année, mais c’est trop cher d’après Genou. Alors on va juste comme tout les ans à la pension où on a nos habitudes à Palavas les Canards. Y a pas beaucoup de chance qu’il y passe mon Prince, celui qui m’emmènera, celui qui emmènera sa Marie Genou, sa blanche colombe, palpitante entre ses bras, sur les flots bleus, dans son yacht rutilant mais qui sait, qui sait, les drôles de surprise qu’offre le ciel parfois…

Ah mais le voilà enfin ce fichu train. Allez on s’agite, les Genou, c’est qu’il va pas rester longtemps en gare, ça serait la meilleure ça qu’on le rate, allez, allez, Gaston, Marcelle, Robert, chargez tous nos impedimenta, en voiture, en voiture, vite, vite…

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Commentaires
C
Salut !<br /> Je recherche l'adrèsse du père génoux!<br /> <br /> Merci
B
vraiment beaucoup : le ton, le langage, l'originalité... merci, Valclair !
V
Pas sur Pivoine...<br /> Je pense qu'elle peut très bien connaitre "impedimenta" (terme un peu précieux mais qui se disait, vraisemblable dans la bouche d'une toute petite bourgeoise qui cherche à se monter du col ) et ne jamais avoir entendu parler de Madame Bovary (cela impliquerait une certaine culture qu'elle n'a pas)
S
Pareil que Pivoine ! Je pensais faire mon petit commentaire autour de Madame Bovary chez les Deschiens, mais tu nous donnes la clé un peu trop facilement !<br /> <br /> Sinon, j'ai adoré ! Cette transposition d'Emma à l'époque contemporaine -enfin, une sorte d'Emma, celle de Flaubert était jolie, celle-ci ne fait que "bovariser"- est vraiment bien pensée. Je dirais même plus : je m'incline ;-)<br /> <br /> Elle doit pas prendre son pied souvent la mère genou :o) [je sors...]
P
C'est vrai qu'il est assez palpitant ce texte. pauvre mère Genou Val, tu ne lui fais pas crédit de grand-chose... (Mais logiquement, si elle ne comprend pas le sens de "bovarysez", elle ne connaît pas le mot "impedimenta" non plus ;o)... Amusant, je pensais à une madame bovary de gare, quand j'ai lu "vous bovarysez..." <br /> <br /> Ah! Pauvre monsieur genou... Pauvre madame genou (c'est terrible, d'être médiocre), et pauvres enfants genou... <br /> <br /> (Mais heureux lecteurs!!!)
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