Telle une cantatrice...(Cyan)
Elle est si belle, ma mère. C'est la plus belle du monde. Grande, hâlée par le soleil de chez nous. Chez nous ? C'était plus chez nous !
Papa a dû quitter la boutique. Il dit qu'il retrouvera vite du travail. Mais maman pleure le soir...
Je me glisse dans sa couchette, pour la consoler, moi, son petit homme, pendant que mon père refait le monde sur le pont supérieur avec d'autres chefs de famille.
Elle est douce, elle sent ... comme si on fait chauffer du miel, beaucoup de douceur et un peu d'amertume dans les replis de la peau, oui, ma mère en larmes dans sa couchette, c'est un miel chaud...
Elle pleure notre maison au patio si bien entretenu, la tombe de ses parents, Aïcha, sa soeur de lait, et ses enfants, nos amis, nos cousins ? ... qui restent là-bas, eux.
Sur le bateau, un mot court de lèvres en lèvres, et maman dit qu'il faut être fier. Mais je ne comprends pas pourquoi puisque ses pieds ne sont pas noirs du tout ! Un peu bronzés peut-être, avec du rouge sur les ongles.
Moi, j'ai des bottes noires, mais pas les pieds !
Elle est si belle, ma mère. Et si courageuse. Elle a séché ses larmes, s'est maquillée, parfumée, a enfilé sa plus jolie robe, nous a mis nos habits du dimanche, et elle se tient là, maintenant, telle une cantatrice débarquant dans son nouveau théâtre, avec son impresario et ses admirateurs, là, sur le port de Marseille.