Paraskevidékatriaphobie (Sammy)

Ca fait combien d'heures qu'on est là ? J'ai froid, je n'ai pas eu le temps de m'habiller quand ils sont venus nous chercher. Prenez le strict nécessaire qu'ils nous ont dit. Juste un bagage par personne. Mais on a pas eu le temps de réfléchir. Et maintenant on est là. Et j'ai froid. Au moins, le petit a son écharpe. Mais pourquoi on est là ? Maintenant que j'y repense, ça fait un an que ça va mal. Je me souviens. C'était un vendredi 13. C'est étrange comme on peut retenir ce genre de détails. C'est ce jour là que tout a commencé, juste après cette loi. D'abord il a perdu son poste, ensuite on nous a pris la maison.

Il a sa gabardine, c'est bien. Il rentrait du travail quand ils sont arrivés. Si on peut appeller ça un travail. On a pas eu le temps de réfléchir. Pas eu le temps de trier le peu qu'il nous restait. A coup de crosse qu'ils nous ont fait sortir du hangar. A coup de crosse ! Jamais je n'ai eu aussi peur. Heureusement on est tous ensemble. Cette femme, là bas, n'a pas cette chance. Il me semble que je l'ai déjà vue. A force de vivre entassés, c'est normal.

Qu'est ce qu'il m'a dit tout à l'heure ? Quand je lui ai parlé du vendredi 13 ? Il a rigolé. Je suis... quoi déjà ? Parakevitriaphobe. Non, c'est pas ça. Mais c'est un mot comme ça. Je ne sais pas comment il fait pour me faire rire dans une situation pareille. Mais je vois bien qu'il a peur lui aussi. Il a peur de cette attente, de cette gare. Et ce froid ! Je dois avoir l'air ridicule habillée comme ça, et à moitié démaquillée. Tout le monde me regarde. Non. Tout le monde regarde par terre en fait. Bien des hommes ça. Hier ça gueulait. Et on va se révolter. Et on va pas se laisser faire. Et ils n'ont pas le droit de faire ça. Et là ils regardent leurs chaussures. Ils font ça depuis qu'ils ont tué le vieux tout à l'heure.

Et la gamine se cache derrière son père. Comme ma soeur quand on était gosses. C'est comme si tout recommençait. J'espère qu'elle a pu partir. Même avec son musicien, l'autre crétin avec son violoncelle. Je ne l'aime pas ce type. Mais tant pis, le principal est qu'elle soit loin. Ce que j'ai froid. Je tremble... Ou alors j'ai peur. Je ne sais pas. Il faut que je me calme. Pour les enfants. Ca va s'arranger. Oui, je suis sûr que ça va s'arranger. De toute façon, ça ne peut pas être pire...

Comments

[wictoria]

Une histoire émouvante, et la suite...le lecteur l'imagine.

[pati]

ah ben oui, l'a disparu, mon comm' ! :)

ben je disais juste que sammy était un fieffé coquin !

parce qu'il a réussi à coller dans son texte une allusion à la dernière consigne, avec le violoncelle. et que le plus beau, c'était que cette allusion ne faisait pas rapportée du tout, au contraire ! elle se coule à l'intérieur de ton texte comme allant de soi

bravo, coquin !

[Matts (-Hideto)]

Wouaou ! il est superbe ce texte, c'est tout en sous entendue mais tout est clair, encore un voyage de l'horeur
J'aime beaucoup le froid qui revient 2 ou 3 fois, puis finalement à la fin c'est peut etre pas le froid qui la fait trembler mais bien la peur !
J'aime bien aussi le petit clin d'oeil à la consigne 30 avec l'amant musicien joueur de violoncelle !
Il y a tant de chose à lire dans ce texte ! bravo !

[Sammy]

Merci Coumarine. Tu as (une fois de plus) très bien vu mon intention. Mais bon, c'est un métier, hein ;-)


Marie, merci aussi ! Mais là où je suis content de moi, c'est que l'horreur du voyage n'est réellement connue que par le lecteur, c'est avec ce que nous savons que nous rendons ce récit si effrayant, alors que ce ne sont que des éléments suggérés...
Quand au devenir du personnage... c'est justement ce qui me plait dans ces petits exercices : faire parler au présent une personne "virtuelle" qui est sans doute morte dans le passé... euh, je sais pas vous, mais moi je me comprend !


Il y avait aussi un commentaire de Pati tout à l'heure, mais il a disparu :-( C'est dommage, tu disais quelque chose que j'espérais bien que quelqu'un relèverait !


A tous : la phobie du vendredi 13, c'est juste parce que j'ai lu un article sur un blog ce jour là... comme quoi il ne faut pas grand chose pour changer le cours d'un texte...

[marie.L]

souflée! sous entendre aussi clairement l'horreur de ce voyage! va-t-elle s'en sortir? vont-ils s'en sortir? très peu ont pu, mais fait-elle partie de ceux qui ont dû vivre avec ces horribles souvenirs?
ton texte est très fort pour cela!