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Paroles Plurielles
3 novembre 2006

Abîme (Lukeria)

Un matin d’automne. À peine sortie d’un sommeil tourmenté, elle se traîne devant la fenêtre, qu’elle ouvre en grand. Une profonde brume recouvre le paysage et vient envelopper tout son être comme un linceul. Elle y voit un signe, le moment de la délivrance est venu. Un triste sourire, ultime adieu à sa sombre existence.

Face au miroir, elle prend le deuil de sa vie, contemple une dernière fois l’image floue de celle qui bientôt ne sera plus, frêle silhouette noire sur laquelle flotte, comme un long ruban de soie, l’or pâle de sa chevelure.

Elle se rend là-bas. Elle gravit les escaliers si hauts, pour elle si petite, luttant contre le vent qui menace à chaque instant de la précipiter dans le vide, elle ne veut pas subir, mais choisir le moment de sa disparition.

Peu avant le sommet, elle s’agenouille sur une marche froide et indifférente comme la mort qui tout en bas l’appelle, et frissonne. Elle ne prie pas, il y a bien longtemps que Dieu l’a abandonnée. Ses cheveux volent et semblent vouloir la précéder dans ce grand élan vers l’abîme. Elle se sent prise de vertige. À ses pieds, comme des fantômes, les collines rient et dansent une macabre sarabande. Elle pose ses deux mains à plat sur la pierre glacée, essayant de maîtriser les battements désordonnés de son cœur. Quelque chose palpite donc encore tout au fond d’elle ?

Laisser le calme revenir et prêter l’oreille à cette petite musique intérieure qui lentement s’élève et lui murmure de regarder au-delà, tout ce que les nuages, telle une immense pieuvre, tentent de lui dissimuler. Elle ferme les yeux et voit. Des collines embrasées sous les rayons du soleil, douces et ardentes comme l’étreinte d’un homme aimant. Des jardins multicolores et parfumés où voltigent, insouciants, des papillons moirés. Elle tend ses mains dans un muet appel. Rester parmi eux dans le ciel, ne pas s’écraser. Elle rouvre les yeux et, tout au loin, aperçoit la mer, grise et démontée. Pourtant, c’est là qu’elle veut aller. S’asseoir sur les rochers et attendre… attendre que vienne cette heure bleue où l’eau comme son cœur seront apaisés. Alors seulement elle pourra partir vers le large, rejoindre son île, son « il ».

Si elle apprivoise sa peur et parvient à redescendre, c’est décidé, elle vivra centenaire !

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Commentaires
S
Très très beau texte, riche en images et en sensations. L'atmosphère de deuil, de détresse qui baigne ce texte est si bien rendue, si palpable, que du coup je trouve la fin un peu abrupte. D'un autre côté, il est vrai que la phrase "quelque chose palpite donc encore" ménageait déjà la possibilté d'une issue à cette ascension tragique. Et puis le texte est si prenant que l'on ne va pas ratiocinner pour une petite phrase (mais c'est justement ça qui m'a frappé : elle a l'air d'avoir été rajoutée après coup, 5 paragraphes mélodieux, 1 petite phrase de conclusion, c'est abrupt) Mais bon, rhaaa, ce que je suis critique quand même ! C'est pas possible ça ! Restons sur LE point positif : ton texte est très beau, et ça, je n'en démordrais pas ;-)
M
Ta description, d'une grande intensité, colle à la peinture de Spilliaert, tout s'y retrouve. J'ai beaucoup aimé ce moment où ton héroïne "ferme les yeux et voit". Bravo pour ton beau texte.
B
Très joli .... un peu de noir mais aussi un peu de lumière qui permet d'arriver à cette fin ou tout reste possible.
F
Très joli texte. Il semble couler de soi. Il se lit comme on se laisse conter une histoire dont on pourrait être le héros. Et le choix appartient encore à l'Homme. Très puissant! Merci!
L
Merci pour votre accueil chalereux et tous vos commentaires qui me touchent beaucoup.
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