Destin solitaire (Micheline B)
Cette tour était un peu comme le Triangle des Bermudes : les rares personnes qui s’y étaient aventurées n’en étaient jamais revenues. Elle me fascinait. Je percerais un jour son mystère. Ce dimanche d’été, baigné d’un soleil franc, je sentis le moment venu. Au départ, j’étais légère, comme un papillon qui volait de muguet en lys, de pommier en marronnier, de maison en gratte-ciel, et ainsi, de plus en plus haut. Les marches se succédaient, se multipliaient, mais où allaient-elles s’arrêter ? Cent, deux cents, trois cents… Le souffle commença à me manquer. Le papillon s’était métamorphosé en femme, si petite devant l’immensité menaçante de l’univers, mais les pieds lourds comme plomb. Je regardais, hébétée, devant moi, j’allais bientôt arriver au sommet. Celui-ci se défilait pourtant à chaque pas. Le blanc de la pierre se noircissait avec la tombée de la nuit. Le vent se leva et prit dans ses rafales mes longs cheveux étrangement foncés. Je m’assis, regardant non plus le but que j’espérais atteindre, mais l’infini. Quelle folie m’avait piquée de vouloir quitter le monde terrestre pour essayer d’accéder à la connaissance. J’étais seule devant mon destin… Je fus prise d’un vertige hallucinant. Mes cheveux m'entraînèrent dans le vide. Ils se redressèrent en parachute. Je n'avais plus le tournis. Je flottais. Dans l'air ? Dans la mer ? Où étais-je ? J’entendis soudain un méli-mélo de paroles : c’était mon radio-réveil qui s’était enclenché. « Tu as bien dormi, ma colombe ? », me demanda Paul. Il m’enlaça tendrement. « Oui, mon chéri, et toi ? ». « Comme toi ! Tu as entendu la nouvelle du journal parlé ? » « Non », dis-je en me frottant les yeux. « Les partenaires institutionnels et privés ont enfin libéré des fonds pour restaurer cette tour près de la mer. Elle ne sera pas vouée aux démolisseurs. C’est décidé, elle vivra centenaire.