Le choix de vivre (Matts)
La voiture la percuta de plein fouet. Elle s’écrasa quelques mètres plus loin après avoir embrassé le lampadaire. Au-dessus d’elle, elle discerna la faible lumière du réverbère, elle s’y sentit attirée, la douceur de la nuit l’apaisa, elle s’y laissa transporter. Tel un oiseau, elle décolla vers la lumière puis la dépassa, tout devint noir ! Mais elle sentait toujours cette présence qui l’enveloppait et l’emportait inlassablement vers le haut, elle sentit soudain en elle la plénitude du plaisir quand elle pris conscience qu’elle ne respirait plus, n’entendait plus, ne voyait plus, elle ne sentait même plus la pression de l’air sur elle, elle était l’air, le son, la lumière ; l’extase la propulsa vers les cieux !
Une étoile filante déchira les ténèbres d’une nuit incroyablement noire.
La jeune femme prit position au pied de la grande pyramide du Saint Sacrement, dans les grandes plaines de l’ultime royaume des morts. Elle avait découvert et traversé les 7 précédents royaumes, découvrant ainsi les plus grandes émotions : de l’orgasme à la haine, de l’abondance aux carences, de la fécondité à la stérilité ! A peine cligna-t-elle des yeux qu’elle fut transportée vers un autre monde où elle rejoignit ses tendres disparus ! Au pied de l’escalier pyramidal, la Force l’attira vers le sommet, elle gravit les hautes marches sans peur, sans doute, sans inquiétude. Dans sa montée, elle ne ressentit ni peur, ni haine, ni amour ; en fait elle, n’en avait jamais vraiment ressenti de son vivant. Alors pourquoi elle ? Pourquoi l’avoir arrachée à la si longue vie qui l’attendait ?
Un cosmos s’écrasa au sommet de la pyramide.
La femme mit le pied sur l’avant-dernière marche de son ultime voyage. Face à elle s’imposa tel un totem l’entité absolue. C’est alors qu’une violente secousse déchira ses entrailles, comme un bras puissant qui la reliait au monde des vivants, comme une décharge prémonitoire d’un avenir incertain. Le gardien de la pyramide s’adressa à la femme tel un roi s’adressant à son sujet : sans réconfort, sans soutien, il lui prédit son avenir dans ce qu’elle pensait être l’au-delà : un avenir de plaisir, d’amour, de jouissance absolue et éternelle. Pour cela il lui fallait choisir ! Avait-elle jamais eu le choix ? Se l’était-elle jamais octroyé ? Ni un choix, ni une ouverture, ni un ultime remède pour ne plus souffrir ! Elle avait la possibilité de profiter ou d’abandonner… Oui, de profiter et d’oublier. Une nouvelle violente déflagration lui pulvérisa le cœur, lui déchira les veines et les artères avant qu’une ultime explosion ne lui traverse le corps. Soudain elle entendit La Voix. En se retournant elle distingua La Lumière, et ce murmure, ce murmure : « On lague à gne, Aile reuvi hein. ». Alors tout s’accéléra, elle se retourna, la divinité avait disparu, elle se tourna encore, La Lumière s’était agrandie. Enfin elle sentit qu’on la suppliait de faire demi tour ; revenir vers les siens, ne plus avoir peur d’hier ni de demain, ne pas se retourner, avancer et profiter !
Une aurore boréale illumine le ciel de rose, de vert, de bleu, de violet, de jaune et d’orangé.
La vielle femme descend la première marche de l’immense pyramide, retraverse doucement les 7 royaumes, voit son avenir, puis revoit au loin la rue, la voiture, le lampadaire et son corps à l’apparence si jeune mais à l’âme si mature. Alors elle comprend, elle profitera du présent sans penser à l’avenir, sans panser le passé… C’est décidé, elle vivra centenaire.