A un carrefour de ma vie... (Plum')
Lorsque je suis sortie de chez lui, j'étais vidée. Je me sentais déshabillée de toute émotion, vierge de tout sentiment. Je me sentais fatiguée mais en même temps lavée de toutes ces années de souffrances, de silences, d'errances...
Je ne suis pas partie en claquant la porte. Non. Je n'ai pas quitté son appartement en colère. C'est peut-être cela, justement, la différence. Je lui ai amené ses courses, je les ai rangées dans le réfrigérateur et dans le placard, j'ai remis le panier à sa place, sous l'évier, et là, je l'ai regardé.
Je l'ai observé. Et je l'ai vu, vraiment. J'ai vu un homme âgé, au visage aigri, aux yeux larmoyants et aux mains tremblantes. Ses mains... Elles m'ont terrorisée durant des années, ses mains. Il n'était pas coiffé, encore en robe de chambre, pas rasé. Il ne me faisait plus peur, soudain. Il ne réveillait même pas de la haine ni de la répulsion. Il m'indifférait...
Etrange cette sensation de vide, comme si je n'étais pas actrice de la scène mais spectatrice. Etrange ce plaisir fade de me sentir dominante. Etrange cette voix qui sortait de ma bouche et qui lui expliquait les "nouvelles règles du jeu"...
J'ai tout balancé, tout vomi ! Sa façon ignoble de traiter ma mère comme une esclave, cette manie de me tripoter depuis toute petite, les fessées à répétition, les claques plus tard et même, deux fois, un poing dans la figure. Ses visites dans ma chambre d'ado, la nuit... Le droit qu'il s'octroyait de fouiller mes affaires, de pénétrer mon corps, ma vie, mon âme...
Je lui ai dit que je ne reviendrai plus, qu'il devait se débrouiller autrement. Je lui ai dit que je ne le haïssais pas. Je lui ai dit qu'à mes yeux, il était mort depuis déjà bien longtemps.
J'ai eu conscience d'être à un carrefour de ma vie, de vivre une étape importante qui allait sûrement changer toute ma destinée.
J'ai refermé la porte, pris l'ascenseur et j'ai quitté ce quartier aux allées bien carrées, aux espaces verts bien entretenus. Qu'il se débrouille !
Désormais c'est son problème, plus le mien...