Service à domicile. ( Largo )
Paul doit certainement me regarder partir, estompée par la vitre encore toute perlée de pluie. Je ne me retourne pas. Je m'éloigne avec une démarche étudiée et sautillante au rythme du vibrato de ses fantasmes. Ils oscillent entre Sandrine Bonnaire et Juliette Binoche : c'est exactement là qu'il me situe.
Pas mal pour une quinqua ! Vous ne trouvez pas ? J'ai largement dépassé les quarantièmes rugisssants, mais je me défends encore avec délice et espièglerie. Je conjugue le démon de midi au féminin et prends mon pied à bras le corps.
En marchant, je ferme les yeux et je vois Paul. J'imagine maintenant sa tête attendrie devant le spectacle de nos oreillers encore enlacés avec frénésie et volupté. Il doit planer…, puis trébucher dans une fébrilité à peine contenue : il a tout juste le temps de tout ranger et replanter le décor conjugal " rigoureusement à l'identique."
Comme tous les vendredis soirs, Agnès va rentrer de Strasbourg. Elle trouvera son mari appliqué à faire le ménage. Un amour de cadre studieux, docile, éternel adolescent romantique! Un rêve pour Agnès qui poursuit une superbe carrière internationale et soigne d'abord son propre ego.
Moi, je soigne Paul, plutôt son moral. Sinon il pourrait s'étioler pendant ses jachères et même faire des bêtises. Alors je m'improvise disons : " bénévole ". Agnès devrait m'en savoir gré, vous ne trouvez pas ? Mais cela me convient ainsi.
Paul me " reçoit " en semaine et en éternelle invitée chaque fois que je l'appelle pour voir s'il ne manque de rien. Alors, il me gâte et me gracie de tout problème d'intendance. Super! Non?
Le jour où Agnès se doute de quelque chose, je voudrais être une petite souris pour voir et entendre ce que Paul va lui inventer comme salade. Non, tout compte fait, que chacun reste dans son rôle. C'est décidé : désormais, c'est son problème, plus le mien