"Long sera l'hiver" (Farfalino)
La feuille était blanche, vierge, presque phosphorescente dans la lumière éteinte de cet après-midi pluvieux.
La pointe du tourne-disque se posa sur la surface noire d'un disque vinyle. Les premiers craquements annoncèrent les violons aussitôt accompagnés de cuivres plaintifs. La voix d'une chanteuse autrefois populaire emplit alors la pièce pour pleurer « Long sera l'hiver, . my love ! ».
Le crayon gras attaqua la surface du papier avec vigueur, déchirant d'une couleur vive la blancheur inerte de la feuille. Puis une autre . et encore une autre . toute la palette des rêves de l'artiste se déversa en flots abondants de lumière. Sentir les chaudes journées de l'été dernier, transcrire la beauté de la nature triomphante, laisser vibrer la passion qui les avaient animés, figurer la promesse des retrouvailles . Les crayons meurtris s'écrasaient sur les fibres incolores. L'artiste étalait, gommait, estompait les traits avec ses doigts dans une urgence salvatrice. Les mains et les couleurs tournoyaient dans une danse frénétique. Le sang versé de la séparation rejoignit la lumière resplendissante de son amour dans cet écrin de verdure.
« Oui j'ai tant besoin de toi, oui car je m'ennuie de toi, ici, où tout est sombre et désert, long sera l'hiver, my love . »
L'artiste contempla le paysage retrouvé qui chantait au son des trompettes, puis, dans un sourire radieux et triomphant, plaça son espérance entre les deux fenêtres grises de sa nostalgie. « Non, l'hiver ne serait pas si long, My love ».