Voyage dans la tête (Colette)
Je suis un génie...et je suis modeste...ont-ils osé écrire en parlant de mon dernier spectacle.
Me connaissent-ils suffisamment pour affirmer une telle antinomie?
Etre un génie relève du surnaturel, de la puissance d'une force bienfaisante ou maléfique. Je ne me sens pas concerné.Je parlerais plus volontiers de trait de génie, quoique le génie est une longue patience, le fruit d'un travail mûrement réfléchi. Soyons modeste...
Ils me regardent dans un miroir mais ne lisent que le reflet de mon apparence. Une simple image. Moi seul peux dire qui je suis vraiment. Un poète troubadour...
Si vous saviez comme je hais cette presse à cinq sous qui harponne ma vie à coups de coeur, à coups de torchons! Cette pondeuse de ragots qui métamorphose un homme en dieu vivant et le coule à pic sous une tempête de calomnies quand le vent tourne...
Je ne lis plus leurs récitals de mensonges. J'en fais des voiliers de papier et je prends le large en cale sèche avec la tête dans les étoiles et ma plume au bout des doigts. Et je rame, traverse les frontières de mes pensées, délie les cordages de mes doutes, monte à l'abordage de mes espoirs.
Je redeviens moi, tout simplement...Brel, l'armateur de rêves, le moussaillon des mots, le pêcheur de rimes. Brel, le gosse à l'école des bigotes qui égrène son rosa rosa rosam. Brel, le p'tit gars pas bien beau qui n'a que l'amour à offrir en partage, qui range ses bonbons parce que Madeleine ne viendra pas. Brel, le valseur à mille temps, le tendre qui écoute vieillir les vieux à deux pas de la pendule du salon. Brel, l'ami de Jef, l'ennemi juré des bourgeois, ces gens-là qui causent de Knokke-le-Zoute. Brel, l'homme à la barre qui s'envague d'écume et d'immensité pour atteindre l'inaccessible étoile...