Cris et chuchotements (Colette)
Je suis restée une heure environ dans la salle de bains.
Mon ventre était vide. Vide de vie. Vide de sens. Vide d'enfant. Moi, si exubérante, je m'éteignais à petites lampées, à petits cris. J'aurais voulu hurler ma haine à la terre entière. Etrangler ces motards qui carburaient au coca sous ma fenêtre, vomir ces femmes qui exhibaient leur ventre dans la rue, clouer le bec à ces futures mères qui étalaient leurs petits malaises, voler ces seins énormes gorgés de lait. J'aurais voulu casser les vitrines des boutiques pour bébés, barbouiller les publicités de couches-culottes, piétiner ces mamans poules qui caquetaient à la sortie des écoles. J'en voulais au bon Dieu, à l'épicière au ventre arrondi, à ma mère qui m'avait mal faite, à mon utérus qui ne tournait pas rond.
Je suis restée une heure environ dans la salle de bains. Porte verrouillée. Yeux délavés. Rage écumée. Cœur explosé.
Mon ventre était ivre. Ivre de vie. Ivre de vie à donner. Ivre d'amour à partager.
J'ai vidé la chambre d'amis, lessivé le mur de bleu pastel, lavé mes mains sales. J'ai fait rentrer le soleil et les moutons blancs, le berceau et le doudou, les couches et les lotions, le nid d'ange et les biberons, le hochet et la boite à musique.
J'ai avalé un grand bol d'oxygène, souri à l'épicière, marché le dos cambré comme les futures mamans. Je suis montée au cinquième étage de la maternité. Ca sentait le bonheur. J'ai enfilé une blouse blanche et j'ai emporté un petit paquet qui criait sa soif de vivre…