De l'eau tiède et du savon (Aubade)
Je suis restée une heure environ dans la salle de bains. J’y étais entrée simplement pour me laver les mains après avoir farfouillé dans la poussière et les toiles d’araignées du grenier. J’étais à la recherche d’un miroir ancien, mis au rebut depuis de longues années, et que, soudainement, j’avais eu envie de retrouver pour lui donner une deuxième vie dans ma chambre récemment redécorée.
J’avais pris le gros pain mauve de ce savon à la lavande que Chloé m’avait ramené de son dernier séjour en Provence, et je le faisais mousser avec délectation dans mes mains, noires des souvenirs poussiéreux du grenier. Le robinet en col de cygne laissait couler un mince filet d’eau délicieusement tiède, et le lavabo, d’abord moucheté d’éclaboussures grisâtres, retrouvait peu à peu le ton « vieil ivoire » de sa porcelaine fatiguée.
J’étais seule à la maison. Tout était calme, paisible. Seul le bourdonnement lointain d’un moteur –une moto probablement, ou plutôt un scooter- troublait un bref instant le confortable silence de cette soirée.
Je laissais paresseusement mes mains reprendre couleur humaine sous le jet d’eau tiède, lorsqu’ un bruit vague, indéterminé, me fit dresser l’oreille. Etait-ce des pas ? des murmures ? le grincement d’une porte mal huilée ? le craquement d’un vieux meuble ou de la rampe d’escalier ? J’eus en tout cas la certitude que ces bruits étranges venaient d’ici même, de ma maison, et je sentis instantanément mon pouls s’emballer et
mon front devenir moite.
J’attrape une serviette, m’essuie sommairement les mains et fais tourner le verrou le plus silencieusement possible. Des yeux, je cherche une arme. J’ouvre fébrilement une trousse. Je m’empare d’une dérisoire lime à ongles. De l’autre main, je saisis un flacon de laque pour cheveux. Me voilà enfermée, tremblante, l’oreille aux aguets. Le bruit semble venir de la cave ? Non, plutôt du rez-de-chaussée. Puis cela s’arrête. Mais mon cœur continue de battre la chamade: quelqu’un est là, en bas, juste en-dessous de moi. Je ne l’entends plus? Il monte probablement, et la moquette de l’escalier amortit son pas. Il doit être à mi-étage, presque en haut, déjà sur le pallier, probablement devant la salle de bains où je me terre, l’oreille à quelques centimètres de la porte, à quelques centimètres de « lui », sans doute. Le temps passe, infiniment long: une heure peut-être, ou un siècle. Je n’ose ni bouger ni respirer.
Soudain, un nouveau bruit me fait sursauter: on dirait qu’on ouvre, puis qu’on referme la porte de rue. « Il » serait reparti? Je respire. Puis, je réalise que non: il n’est pas parti. Au contraire, voyant le champ libre, il a dû faire entrer un complice. Je me sens mal, j’ai peur de m’évanouir. Je m’assieds sur le sol, respirant avec difficulté.
Ce que j’entends ensuite, c’est la voix claire de Chloé. Chloé, rentrée de voyage un jour plus tôt que prévu, monte l’escalier en criant « Mais enfin, où es-tu? Et pourquoi es-tu montée sans éteindre la télévision? »