Errances (Souliers vernis)
Je suis restée une heure environ dans la salle de bain. Il fallait bien ça. Encore une soirée passée à traîner dans les bars, de comptoirs en comptoirs. Je suis rentréee en scooter, j'ai bien cru que j'allais me casser la gueule cette fois. Mais non. Toujours pas. Qu'est-ce que je cherche au fond ? Je suis dans mon lit là. Tout le monde se lève. Le soleil, lui, ça fait déjà un moment.
Encore une journée où je n'irai pas en cours. Ce soir je raconterai combien je me suis amusée la nuit précédente, combien j'ai rencontré de gens formidables. Et j'y croirai, peut-être. Oui, si je suis bien disposée, j'y croirai.
Pour le moment, je vais essayer de dormir mais j'ai ce grand vide au creux de l'estomac. Ca me fait toujours ça, l'alcool. La descente d'alcool. C'est vrai que ces nuits d'errance, je les aime. Je les aime comme on aime un roman. J'ai le sentiment d'être au spectacle de ma propre vie.
Et puis je m'ennuie tellement. Tout le temps. Et puis, ces gens qui vivent la nuit ça m'intrigue. Ca m'attire. Irrésistiblement. Ca m'attriste aussi. Juste ce qu'il faut pour me sentir ancrée. Ouais, comme ancrée par la gravité du moment.
C'est vrai, la plupart du temps, je flotte. Alors pour quelques heures, avec d'autres flottants et flottantes, on s'arrime mutuellement. Histoire de ne pas perdre pied totalement. Quelque chose comme ça. On sait que c'est provisoire et plus encore illusoire. Simplement, on fait semblant de ne pas le savoir.
Je me demande ce qu'elle me voulait cette vieille folle. Avec ses cheveux rouges. Des cheveux de sorcière. Elle buvait du thé en plus. Du thé, vraiment, en pleine nuit dans un bar. Ca me dépasse. Où il est l'intérêt là-dedans?
Elle m'a raconté des trucs bizarres. Elle m'a dit que j'étais belle et jeune et des tas de conneries dans le style. Au début j'ai cru qu'elle était lesbienne. Bon moi, c'est pas mon truc. Du tout. Mais non, c'était pas ça. Elle a tenu absolument à me refiler une vieille boîte de coca. Toute cabossée, et vieille, comme elle. Et rouge, comme ses cheveux. Bon, je l'ai prise sa boîte, pour qu'elle me lâche un peu. Tiens, qu'est-ce qu'elle a cette boîte? Il y a quelque chose dedans, on dirait. Ouais. Voyons ça. Putain! C'est une bague. Bizarre. Vraiment bizarre. La bague de la sorcière ressemble à la bague que portait ma mère quand elle s'est barrée il y dix ans.