Les yeux de Jeanne (souliers vernis)
Il choisit toujours la solution la plus compliquée. Dès lors qu’il s’agit de prendre les transports en commun, Achille aime les itinéraires alambiqués. Achille dit que ça favorise les rencontres. Il paraît qu’on n’est jamais à l’abri d’une belle rencontre. Alors, il traverse Paris de long en large mais sous la terre et multiplie les changements de métro. Lui, il les appelle les points d’interconnections.
C’est au cœur d’un de ces points d’interconnections qu’Achille s’est heurté à Jeanne, enfin que le regard d’Achille s’est heurté à celui de Jeanne. Et le regard de Jeanne à celui d’Achille. Leurs âmes se sont télescopées. Il a vu dans les yeux de Jeanne, la maison au bord du lac et les soirées d’été. Il s’est senti en pays connu.
Il n’a pas vu tout de suite, Achille, que la maison sombrait et que Jeanne perdait pied. Il n’a pas vu tout de suite l’ombre qui planait. Il a été surpris par ce naufrage annoncé.
Achille choisit toujours la solution la plus compliquée. Il ne s’agit plus de transport en commun cette fois-ci. D’autres seraient partis, n’auraient pas supporté de voir engloutis leurs rêves premiers. Achille a transformé le sien. Ils habitent ensemble une maison de guingois. Elle prend l’eau parfois mais Jeanne ne perd plus pied.