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Paroles Plurielles
3 mars 2007

La maison vide (Jadis)

Ça fait huit jours exactement que personne n'est entré ou sorti de cette maison. Au début, disons les deux premiers jours, cela n'a pas posé de problème. Le troisième jour la cafetière a commencé à se plaindre : "À quoi je sers moi ? à rien. Autant me le dire franchement." Les bols et les petites cuillers ont réagi à leur tour : "Et nous, on est bons pour la poubelle ou quoi ?" Même le sucre, enfermé dans sa boite métallique et drapé dans sa blancheur immaculée, a maugréé : " Si ça continue les fourmis vont réussir à forcer ma forteresse."
Il fallait faire quelque chose. Mais quoi ?
Agir, tout simplement agir.
Alors le quatrième jour, au matin, la cafetière s'est ouverte, le filtre a sauté dedans, la carafe a apporté l'eau, le doseur a compté le nombre exact de doses de café par rapport à la quantité d'eau. Les bols se sont mis en place, la confiture et le beurre sont sortis du réfrigérateur et l'odeur délicieuse et suave du café pur arabica a empli la cuisine, accompagnée par celle du pain grillé émergeant joyeusement du grille-pain.
Le jour suivant c'est la grande marmite en fonte qui s'est mise à gémir ; les cuillers en bois, les couteaux de cuisine et le tablier l'ont soutenue dans sa douleur. Puis les assiettes, les verres, les couverts ont décidé eux aussi de réagir à cet immobilisme morbide qui leur était imposé. Et le soir cela sentait bon la daube provençale dans toute la maison ; le vin s'est fait ouvrir et s'est versé goulûment dans les verres de fête, sortis pour l'occasion.
Le sixième jour la chaîne hi-fi s'est réveillée, elle a hésité ; finalement elle a mis en lecture shuffle : un disque de Mélina Kana, un Trénet, un rébétiko crétois, le prélude baroque de Purcell et un quatuor à cordes de Mozart. Il en fallait bien pour tous les goûts. En soirée la télévision a choisi pour son lecteur Le Mépris de Godard, avec Brigitte Bardot et Michel Piccoli ; elle avait eu du mal à décider à cause de la proximité de Meurtre d'un bookmaker chinois de Cassavetes.
Hier le dessus de lit s'est envoyé en l'air, les draps se sont ouverts et savamment froissés, les oreillers ont été mordus... ne me demandez pas par qui.
Je crois que la baignoire est en train de déborder.

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Commentaires
L
oui… Moi je me plaît à imaginer qu'il ya 2 degrés dans ce texte.<br /> Le premier serait tout ces objets qui s'animent comme "Alice au apys des merveilles"<br /> Et puis le second degrés serait peut-être le reveil d'une maison avec l'arrivé d'un homme…<br /> Qui, comme tout homme qui se respecte, viderait le frigo, boirait du café, en ferait voir aux oreillers, et permetrait à son hôtesse de se remettre de tout cela dans un bon bain…<br /> why not ?
A
J'ai trouvé que ce texte plein de fantaisie pose bien la question: avons-nous une âme en propre ou l'empruntons-nous aux objets qui nous entourent?
F
Superbe texte qui pose question. Objets inanimés, avez-vous donc une âme? Ou plus exactement gens aux coeurs inanimés, savez-vous que vous pouvez faire confiance aux objets qui peuvent vous rendre vie quand vos coeurs sont trop meurtris pour y croire encore? Le texte, comme les objets, danse dans la tête du lecteur. C'est un vrai plaisir! Merci!
P
C'est mignon, frais, bien enlevé. Cela sent le printemps ! (et j'ai adoré le dessus de lit qui s'envoie en l'air...)
P
comme je te l'ai dit dans mon mail, je trouve ton texte très bon, Jadis.<br /> j'aime l'idée de se laisser voler la vedette par nos objets du quotidien, qu'ils aient leur libre arbitre.<br /> j'aime l'idée de douce folie qui s'empare de ton personnage.<br /> <br /> très joli début parmi nous, bravo à toi et bienvenue :)
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