Les mots (Kloëlle)
Il faut que je vous dise... J’ai menti.
C’est venu sans que je le veuille vraiment, les mots se sont enchevêtrés dans ma bouche, pris qu’ils étaient d’une soudaine envie d’exister, envahis par une bouffée d’émancipation fulgurante. J’aurais voulu les arrêter mais voilà, une fois jetés, ils étaient là, gonflés, imposants, luisants comme une voiture neuve, fiers d’eux en plus. Ah, elle tombait mal leur crise d’autonomie.
C’était le premier rendez-vous galant que j’avais depuis des mois.
Enfin, galant c’est un peu vite dit.
Je m’étais inscrit au bal des célibataires de St Joseph des Rivières, une petite ville pas trop éloignée de chez moi, et pour tout dire, c’est vraiment par hasard si je m’étais retrouvé assis en face d’elle.
Pour une fois que j’avais de la chance.
Imaginez !
La plus belle fille de la soirée et elle était pour moi !
Maintenant, vous comprenez pourquoi ils se sont emballés… C’est qu’ils n’étaient pas habitués à monter sur le devant de la scène ces mots là : ceux qui enjôlent, qui caressent et qui charment... Parfois.
Quand les mots « ingénieur » et « champion d’escalade » sont sortis, j’ai compris que j’avais perdu le contrôle des choses...
Plus tard, elle a accepté de sortir faire un tour avec moi, je crois que c’est le mot « voiture de sport » qui a coiffé les autres sur la ligne.
Alors, bien sûr, le mot « promenade romantique » est venu à la rescousse et nous sommes partis faire un tour du côté du petit marigot qui jouxte les bois.
Vous dire à quel moment de la soirée elle a compris que finalement tout ça, ce n’était que des mots ?
Difficile à dire, Lieutenant.
C’est sûr que maintenant elle ne reviendra pas nous le dire.