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Paroles Plurielles
2 avril 2007

Jacques (Pati)

"J'ai presque une heure d'avance..."
Jacques est content. Fier de lui.
C'est un petit vieux charmant, Jacques. Une silhouette longue comme l'ombre des lampadaires un jour d'automne, une auréole de cheveux blancs comme la neige des matins d'hiver. Le regard de Jacques vous scotche par sa profondeur. Quand vous avez la chance de le croiser, bien sûr. Parce que Jacques ne regarde pas les gens. Il regarde... ailleurs.
Il vit dans la vieille ferme à l'orée du village. Personne ne sait ce qu'il y fabrique mais personne ne s'en préoccupe vraiment de toute façon. Jacques, c’est le fada.
Le fada de la halle.

Car Jacques aime les halles. Celles des marchés de province, surtout. Celles qui grouillent de monde le dimanche mais qui restent désespérément désertes le reste du temps. Il y a 12 ans, il a stoppé sa marche au Mas d'Agenais. Au fin fond du Lot-et-Garonne. Un bled où le temps semble arrêter sa course folle pour butiner tranquillement chaque seconde comme une gourmandise.
Jacques arpente la halle chaque jour, un carnet miteux à la main. Il compte. Puis il enfile la rue de la rose et va poser sa carcasse sur un des bancs du vieux parc pour regarder couler la Garonne. Jusqu'à la tombée de la nuit. Voilà. Le quotidien de Jacques. Enfin, c’était son quotidien, jusqu'à ce matin.

Planté en plein milieu de la halle, il contemple son oeuvre. Son regard vérifie une dernière fois l'agencement savant qui s'étale tout autour de lui. Déplace de quelques centimètres un élément, en redresse un autre d'un micron. Une dernière fois, il compte, s'assure que tout est en ordre. Parfait. Absolument parfait.

Alors Jacques se redresse, îlot humain flottant dans une mer de souliers. Une paire par jour perdu. Par amour non donné. Par ami inconnu. L’une après l'autre, elles témoignent du vide de sa vie. Et de son espérance à le combler.
Ce matin, quand le Mas se réveillera, il trouvera Jacques entouré de tous ceux qu'il rêve de rencontrer. Qu'il désespère d'aimer. Il étouffe d’amour. Alors Jacques a décidé qu'à compter d'aujourd'hui, ses aimés existeraient.
Jacques est si seul, vous comprenez ?

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Commentaires
P
merci. à tous.<br /> <br /> ce texte, j'ai pris un grand plaisir à l'écrire. j'y parle de ma région, d'un village où j'aime passer du temps. <br /> j'ai été chez moi, tout le long de l'écriture de ce texte. et je suis contente que vous ayez perçu la solitude de Jacques.
H
Je suis gêné mais tant pis je dis ce que je ressens :<br /> En plus de la leçon d'écriture, je reçois une leçon d'amour.<br /> <br /> C'est avec bonheur que je les prends.
P
Il est beau ce texte. Sans donner de leçons, il encourage à modifier son regard.<br /> <br /> Perroquet violet sur la pointe de mon pied.
P
Tout, j'aime tout dans ce texte. Pas seulement l'histoire de Jacques si bien résumée. Mais aussi la façon de planter le décor, les références aux lieux, la Garonne, les halles de village, je les vois ces halles, c'est un poème très visuel auquel je suis sensible. Impression de revoir des halles en bois comme j'en ai vu en Normandie ou dans le Pas de Calais. J'aime beaucoup cette photographie d'un personnage, ici et maintenant, à tel endroit, à tel moment, planté au coeur de son histoire.
F
J'ai été ému par ton texte. Si comme dirait coumarine, on est avide d'être aimé et d'aimer, je serais d'accord avec Jha, on espère ne pas avoir trop de chaussures autour de soi.
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