Jacques (Pati)
"J'ai presque une heure d'avance..."
Jacques est content. Fier de lui.
C'est un petit vieux charmant, Jacques. Une silhouette longue comme l'ombre des lampadaires un jour d'automne, une auréole de cheveux blancs comme la neige des matins d'hiver. Le regard de Jacques vous scotche par sa profondeur. Quand vous avez la chance de le croiser, bien sûr. Parce que Jacques ne regarde pas les gens. Il regarde... ailleurs.
Il vit dans la vieille ferme à l'orée du village. Personne ne sait ce qu'il y fabrique mais personne ne s'en préoccupe vraiment de toute façon. Jacques, c’est le fada.
Le fada de la halle.
Car Jacques aime les halles. Celles des marchés de province, surtout. Celles qui grouillent de monde le dimanche mais qui restent désespérément désertes le reste du temps. Il y a 12 ans, il a stoppé sa marche au Mas d'Agenais. Au fin fond du Lot-et-Garonne. Un bled où le temps semble arrêter sa course folle pour butiner tranquillement chaque seconde comme une gourmandise.
Jacques arpente la halle chaque jour, un carnet miteux à la main. Il compte. Puis il enfile la rue de la rose et va poser sa carcasse sur un des bancs du vieux parc pour regarder couler la Garonne. Jusqu'à la tombée de la nuit. Voilà. Le quotidien de Jacques. Enfin, c’était son quotidien, jusqu'à ce matin.
Planté en plein milieu de la halle, il contemple son oeuvre. Son regard vérifie une dernière fois l'agencement savant qui s'étale tout autour de lui. Déplace de quelques centimètres un élément, en redresse un autre d'un micron. Une dernière fois, il compte, s'assure que tout est en ordre. Parfait. Absolument parfait.
Alors Jacques se redresse, îlot humain flottant dans une mer de souliers. Une paire par jour perdu. Par amour non donné. Par ami inconnu. L’une après l'autre, elles témoignent du vide de sa vie. Et de son espérance à le combler.
Ce matin, quand le Mas se réveillera, il trouvera Jacques entouré de tous ceux qu'il rêve de rencontrer. Qu'il désespère d'aimer. Il étouffe d’amour. Alors Jacques a décidé qu'à compter d'aujourd'hui, ses aimés existeraient.
Jacques est si seul, vous comprenez ?