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Paroles Plurielles
6 avril 2007

Au bord du gouffre (Arthur Hidden)

J’ai presque une heure d’avance. Peu à peu arrivent les autres paires de chaussures supportant leurs militaires. Elles s’alignent impeccablement sur moi. Eux repartent, péniblement, pieds nus.

Un des médecins généraux toussote. Est-ce l’américain, le chinois, le français, le britannique ou le russe ? Derrière eux les cabines de traduction simultanée cessent de bourdonner car l’homme s’est tu. De leur jugement à eux cinq dépend la paix du monde. Soit ils certifient que l’homme n’est pas manipulé, soit …

Cela faisait quinze ans que les soldats du Taratistan devaient tous les matins, sous les regards de la communauté internationale, déposer leurs chaussures parfaitement rangées en lignes et en colonnes dans le désert. C’était le seul moyen de contrôler les velléités hostiles de ce pays au potentiel nucléaire secret. Vers dix heures les satellites espions des grandes puissances comptaient les paires de chaussures soigneusement alignées. Rien d’anormal n’avait été constaté jusqu’à ce quinze février 20XX où au centre du treillis, à l’intersection d’une ligne et d’une colonne, à la place d’une paire de chaussure était apparu ce qui ressemblait à un homme debout. Le président américain, en accord avec les autres membres permanents du Conseil de sécurité, avait immédiatement envoyé un drône prendre la photo qui avait fait le tour du monde. On y voyait, au milieu des chaussures, un homme en costume sombre, tête nue et pieds nus. La divulgation de cette inquiétante photo avait déclenché une épouvantable panique. Les prix de l’or et du pétrole avaient été multipliés pas trois. Les bourses avaient baissé de vingt-cinq pour cent. Les grandes puissances avaient mis leurs forces nucléaires stratégiques en alerte maximale. Le Taratistan protesta de son innocence mais personne ne le crut. D’où la Commission des médecins militaires chargée d’interroger l’homme de la photo. Le monde retenait son souffle.   

C’est le médecin russe qui parle au nom des cinq devant les caméras du monde entier. La Commission certifie que l’homme de la photo est frappé d’un trouble rare mais nullement exceptionnel : il se prend en toute bonne foi pour une paire de chaussures militaires. Il a cru faire son devoir en précédant les autres dans le désert ce quize février 20XX. Les représailles militaires contre le Taratistan n’ont pas lieu d’être.

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Commentaires
M
Oui, en te lisant, j'ai eu peur que le monde bascule dans le délire jusqu'au dernier mot de ton texte. <br /> <br /> Soit je suis pessimiste, soit tu as beaucoup de talent !!! <br /> <br /> Je penche pour la deuxième hypothèse ;-))) !
S
Dans le monde que tu décris, il y a vraiment de quoi se prendre pour une paire de pompes, c'est même peut-être le seul moyen de rester debout. J'ai beaucoup aimé te lire, l'ambiance qui se dégage de ton texte est éprouvante. C'est super.
C
cette consigne a inspiré entre autres le "militaire" et le psy, tu allies bien les deux,le monde est fou!
P
Se serait-il pris pour une ogive nucléaire que le destin de l'humanité basculait ! Ouf !<br /> <br /> Perroquet soulagé sur la pointe de mon pied.<br /> <br /> Ah ! que je dise aussi que "les bourses avaient baissé de vingt cinq pour cent"... j'ai eu mal pour elles !
H
La bêtise est mère de la folie humaine. <br /> Le plus fou n'est pas celui que l'on croit ...<br /> Ne jamais se fier aux apparences.<br /> <br /> Merci Arthur.
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