Pour elle... (Miss Alfie)
Et maintenant, ça suffit !
J'en ai marre de cette partition, de ces notes alignées et de ce
rythme qui ne veulent plus se synchroniser avec mes doigts.
J'en ai marre de ces tisanes au citron qu'elle me sert tous les soirs
avant de me coucher.
J'en ai marre des expressions apitoyées de ceux qui me rendent visite
en me jurant que je rejouerai un jour.
J'en ai marre de ce filet de salive qu'elle essuie en m'embrassant le
front.
J'en ai marre de ce fauteuil qui m'empêche de descendre dans le parc,
dans lequel je passerai le reste de mes jours.
Oh oui, comme j'aimerai qu'elle m'emmène dans le parc, en bas, dans
le cloître aux bancs de pierre.
J'aimerai qu'elle m'installe à l'ombre de la cathédrale ancestrale.
J'aimerai que l'air frais de ce printemps naissant apporte à mes
oreilles les notes parfois maladroites des élèves du conservatoire.
J'aimerai les voir sortir après leurs répétitions, chargés de leurs
boites à musique et à rêves.
Oui, ça suffit maintenant.
Ce soir sera le bon, elle le sait, on en a parlé.
Je ne peux plus vivre ainsi, je ne peux plus lui imposer de me voir
ainsi.
Elle laissera quelques comprimés supplémentaires, de ceux qui sont si
fort qu'ils endorment mon esprit et mes douleurs.
Elle me mettra cette robe dans laquelle elle aimait tant me voir
lorsque nous sortions ensemble, en cousines, en soeurs, en amies,
avant d'être amante au retour.
Et samedi, parce que je veux que ce soit samedi, elle déposera sur ma
tombe une corbeille de jonquilles, de roses et d'hortensias.
Les jonquilles pour le printemps qui arrivait.
Les roses pour l'amour que nous partagions.
Les hortensias pour notre rencontre en Bretagne.