On nous oubliera (Lorraine)
Ma voiture n’a pas démarré ce matin. Il n’y avait plus d’essence. Il n’y en a plus nulle part d’ailleurs. Ils ont tout réquisitionné. On tire. A plat ventre, vite… Très vite… Pas assez vite.
Je suis là, dans le troupeau lamentable, ils m’ont traîné dans le chemin qui sent le printemps. On est tous rassemblés en troupeau, on a tous la peur dans les entrailles, on ne crie pas, on baisse les yeux comme si cela pouvait nous faire disparaître. Eux, ils gueulent. Ils ont attrapé Maxime, il est au premier rang, il a reçu la crosse du fusil sur la joue, il saigne. Moi, j’ai mal, mais je ne saigne pas. Du moins je ne crois pas. On est tous serrés les uns contre les autres, je ne peux pas regarder ma jambe qui brûle. Mais la jambe, ce n’est pas grave.
Pourquoi on est là ? Ah oui, on a fait sauter un pont. Un pont ! Ils gueulent. Ma voiture n’a pas démarré ce matin . Elle ne démarrera plus, plus jamais. Moi non plus. Je lève la tête, très haut, le plus haut possible par-dessus les rangs recroquevillés. Ils gueulent. Ils baragouinent, ils comptent… Je suis le premier.
On nous oubliera. On oublie toujours les otages.