Conversation ordinaire (Pati)
Ma voiture n'a pas démarré ce matin ! Marcher. Vite. Tête baissée. Ne pas les regarder. Ne pas penser à eux. Ils ne me Dernier wagon. S'asseoir. Loin du couloir. Prendre mon livre, me plonger dedans. Si je ne les regarde pas, ils ne me verront pas. Elle quitte la gare, tremblante, glacée, petite silhouette grise enfermée dans sa terreur. Un enfer de vaincu.
T’es dans la merde...
Comment je vais faire pour aller bosser ? Pour sortir ! Pour
Vivre ? Ah !
Pas paniquer. Surtout ne pas pani
Tu vas pas y arriver.
Pas le choix.
Y a qu'à prendre le
Ah non, pas ça !
Tu préfères traverser la ville à pied ?
Non, pas le train !
Allez bordel ! Bouge !
Bon, mon sac. Mes clefs. Mes lunettes. Mon livre. Mes anxios.
Une pilule pour papa, une pilule pour
Ta gueule ! Si tu crois que c'est simple, t'as qu'à passer devant !
Arrête de frotter tes mains sur mon jean, c'est pas lui qui stresse. Bouge !
Voient pas ? Ah ! Une nana avec de grosses lunettes de soleil quand il pleut des cordes !
Je fais ce que je peux ! Ah. La gare. Entrer, acheter le billet
Y a la queue !
Non ! Là ! Personne ! Composter le billet. Avancer, regarder par terre, glisser vite sur le quai. Ne les regarde pas. Si je ne les regarde
pas, ils ne me verront pas, gnagnagna. Mais de quoi t'as peur, bordel ! Tu crois qu'ils s'intéressent à toi, dis ?
Oui ! Je les sens ! Tous ces regards qui me détaillent, qui me fouillent qui me harcèlent qui me suivent qui me font mal qui me
Stop ! Tu paniques ! Respire, calme. Respire. Comme ça. Voilà.
Un mec. Il vient d’entrer. Il va s’asseoir pile devant toi !
Oh non ! Je pourrai pas je peux pas je peux pas !
Calme toi. Pense à ce qu’on a dit. Allez, je suis là. Regarde, il a son journal, il te calcule pas. Allez raconte-moi ton livre. Pourquoi il est seul à lever la tête, ton héros ?
Il est différent. Il est enfermé. Seul parmi les autres. Il surveille. Il veut voir au-delà de sa prison. Il est sa propre prison. La prison des autres. L’enfer c’est les autres...
C’est de Sartre ça. Allez, respire, regarde : on est arrivées. Eponge-toi, t’es toute trempée. Hop ! Tout le monde descend !
Une toute petite victoire.
Mais une victoire.
Quand même.
je dédie ce texte à celle qui me l'a inspiré
qui lutte, jour après jour contre sa phobie
et dont j'admire le courage infini.