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Paroles Plurielles
6 mai 2007

Conversation ordinaire (Pati)

Ma voiture n'a pas démarré ce matin !
T’es dans la merde...
Comment je vais faire pour aller bosser ? Pour sortir ! Pour
Vivre ? Ah !

Pas paniquer. Surtout ne pas pani
Tu vas pas y arriver.
Pas le choix.
Y a qu'à prendre le

Ah non, pas ça !
Tu préfères traverser la ville à pied ?
Non, pas le train !
Allez bordel ! Bouge !
Bon, mon sac. Mes clefs. Mes lunettes. Mon livre. Mes anxios.
Une pilule pour papa, une pilule pour

Ta gueule ! Si tu crois que c'est simple, t'as qu'à passer devant !
Arrête de frotter tes mains sur mon jean, c'est pas lui qui stresse. Bouge !

Marcher. Vite. Tête baissée. Ne pas les regarder. Ne pas penser à eux. Ils ne me
Voient pas ? Ah ! Une nana avec de grosses lunettes de soleil quand il pleut des cordes !

Je fais ce que je peux ! Ah. La gare. Entrer, acheter le billet
Y a la queue !

Non ! Là ! Personne ! Composter le billet. Avancer, regarder par terre, glisser vite sur le quai. Ne les regarde pas. Si je ne les regarde
pas, ils ne me verront pas, gnagnagna. Mais de quoi t'as peur, bordel ! Tu crois qu'ils s'intéressent à toi, dis ?
Oui ! Je les sens ! Tous ces regards qui me détaillent, qui me fouillent qui me harcèlent qui me suivent qui me font mal qui me
Stop ! Tu paniques ! Respire, calme. Respire. Comme ça. Voilà.

Dernier wagon. S'asseoir. Loin du couloir. Prendre mon livre, me plonger dedans. Si je ne les regarde pas, ils ne me verront pas.
Un mec. Il vient d’entrer. Il va s’asseoir pile devant toi !
Oh non ! Je pourrai pas je peux pas je peux pas !

Calme toi. Pense à ce qu’on a dit. Allez, je suis là. Regarde, il a son journal, il te calcule pas. Allez raconte-moi ton livre. Pourquoi il est seul à lever la tête, ton héros ?
Il est différent. Il est enfermé. Seul parmi les autres. Il surveille. Il veut voir au-delà de sa prison. Il est sa propre prison. La prison des autres. L’enfer c’est les autres...
C’est de Sartre ça. Allez, respire, regarde : on est arrivées. Eponge-toi, t’es toute trempée. Hop ! Tout le monde descend !

Elle quitte la gare, tremblante, glacée, petite silhouette grise enfermée dans sa terreur. Un enfer de vaincu.
Une toute petite victoire.
Mais une victoire.
Quand même.

je dédie ce texte à celle qui me l'a inspiré
qui lutte, jour après jour contre sa phobie
et dont j'admire le courage infini.

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Commentaires
F
J'aime beaucoup la folie qui se dégage de ce texte. On sent bien la réalité qui est déformée par la phobie et la souffrance qu'elle induit.
A
Ton texte est remarquable, il nous force à penser à la douleur de ceux qui souffrent en silence de phobies, de tracs, de tocs....<br /> L'un de mes proches est ainsi resté tétanisé un jour au bord d'une autoroute, la peur au ventre pendant une heure ou plus, jusqu'à ce que quelqu'un vienne à son secours.<br /> Pati, tout à l'heure, quand je prendrai le métro, j'aurai, grâce à toi, un autre regard sur les autres !Merci !
S
que tu puisses si bien rendre ce qui se passe dans la tête de l'autre, c'est ça qui force mon admiration.
C
Merci Pati.Ce sont les regards comme le tien qui m'aident à avancer. Point de courage, point d'admiration. Du respect. Merci :o)
M
Pas une toute petite victoire, une *énorme* victoire, Pati ! Que tu as très bien rendue. Ce n'est pas moi qui t'ai inspiré ce texte, mais j'avoue avoir souffert pendant de nombreuses années de crises d'angoisse, et je te remercie d'avoir très bien décrit le vécu d'une telle crise.<br /> <br /> J'ai passé des années à ressentir ce que tu décris très exactement, à chaque fois que je mettais le pied dehors.
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