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Paroles Plurielles
11 mai 2007

Gepetto aux chiffons (Thierry)

Il était triste, Gepetto. Son histoire avait été mal écrite, pas écrite comme elle aurait dû l'être.

Surtout cette fin molle en chiffons.

Quand on est marionnettiste, quand on a usé ses paumes à raboter des essences nobles, on ne finit pas en chiffon par quelque maléfice cruel.

Certes, les poupées de chiffons étaient charmantes, elles avaient ces rondeurs qu'on aime tant caresser et sentir, mais celles en bois avaient la plus belle des grâces, celle du mouvement, de l'expression et de la vie.

La vie, la passion de toujours du petit menuisier, celle qu'il voulait à tout prix donner à ces amis de chêne et de ficelles. La vie, oui, lui, il l'avait chérie au delà de tout!

Et par un matin lumineux de printemps était né Pinocchio. C'était d'un tronc de charme qu'il avait fabriqué cette poupée magique, de ce tronc de charme que la vie avait allumé l'esprit et la chair de ces formes en bois. Point de ficelles pour un mouvement autonome. Autonome! La vie était là, la vie est donnée, livrée.

Maudit Pinocchio !

Gepetto le savait, il en était sûr, c'est Pinocchio qui avait fait de lui cette poupée inerte et molle, par quelque sortilège mal écrit. Sale gamin, aucune loi, aucune règle. La vie lui avait fait perdre la cohérence de ce que fut sa jolie tête en bois, polie avec passion. Ca devait être ce sacré Pinocchio qui a dû si mal écrire l'histoire. Pinocchio était un menteur, il ne fallait pas l'écouter, jamais.

Gepetto en était là, ce soir d'hiver, avachi sans ressort dans son décor de grenier oublié, sans aucun espoir de revoir la vie un jour l'animer.

Mais bien loin de là, Pinocchio flambait dans un salon doré, mentait, mentait, pour faire voir une vie fantastiquement belle. Il mentait tellement que son nez vint à rompre, d'un coup net. Et Pinocchio redevint de bois, bois inerte sans les ficelles qu'il n'avait jamais eues.

Alors, et par la magie du charme original, Gepetto se transforma en marionnette de sapin, avec des ficelles bien pensées. Et Gepetto put enfin se mouvoir, en se concentrant très fort, certes maladroitement. Mais la vie était là, revenue! Quel bonheur ! Il fallait retrouver le livre, et ré-écrire l'histoire, non plutôt la finir, avec une jolie belle fin, et un menuisier en chair et sang, bouillonnant de vie.

Il fouilla bien vite le grenier et finit par trouver le livre. Accroché au miroir était son crayon de menuisier. Il allait refaire l'histoire, la ré-écrire, pour les générations futures.

D'un coup d'oeil dans le miroir, il vit sa tête mal dégrossie d'une souche mal déssinée.

Il se pencha sur le livre, son crayon à la main.

"Seule l'écriture me sauvera de la gueule de bois" dit-il en maudissant une dernière fois Pinocchio.

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Commentaires
O
Comme c'est bien imaginé !
A
Je n'ai pas vu le film mais je suis rentré dans l'histoire qui parle du lien entre l'artiste et son oeuvre, entre le père et son enfant ...
P
Moi, par amour pour mon fils – Pinocchio, c'est mon fils – je donnerais ma chair et mon sang. J'accepterais de devenir vieille souche pour que lui, tente sa chance. Je ne lui reprendrais pas la vie. Donner c'est donner !<br /> <br /> Perroquet sacrifié sur la pointe de mon pied.
C
C'est vrai qu'en y regardant de plus près, cette marionnete ressemble à Gepetto. Texte très original. Peut être une digne suite à Pinochio?
R
c'est une trés bonne idée, bien menée... j'aime bien les dialogues entre gépetto et pinocchio, bien souvent des reproches !
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