L'absente a tous les torts (Sodebelle)
Comme promis, j’ai emmené les enfants au marché aux puces.
Comme prévu, ce fut l’horreur: un monde fou, des touristes qui se bousculent, le guide à la main;
j’en ai vu deux faire monter le prix d’une marionnette affreuse, sale et puante, juste bonne à effrayer les enfants.
Qui voudrait de ça chez soi ? Je ne comprends décidément pas les gens.
Maintenant nous déjeunons à la terrasse d’un bistroquet sympa, sur le trottoir, en fait !
Heureusement il fait beau…
Les frites sont meilleures ici, ça c’est sûr!
De quoi ai-je l’air?
D’un père célibataire qui sort ses enfants le dimanche?
C’est ce que les gens doivent penser. De quoi ils se mêlent?
Tu me manques, tu me manques affreusement, et aux petits aussi.
Je leur ai expliqué que tu étais partie écrire le livre de ta vie,
que voulais-tu que je leur dise?
« Avec des dessins? » a demandé Pierre.
Tu vois, quand tu m’as dit : « seule l’écriture me sauvera de la gueule de bois », je n’ai pas compris.
Je ne savais pas que tu buvais tant: c’est toi qui fais les courses, toi qui portes les vidanges au recyclage, toi qui gères l’argent du ménage…
Toi qui n’es plus heureuse?
Toi qui t’ennuies dans la vie que j’essaie de te construire?
Je n’ai rien vu.
Tu es là, à côté de moi, ma force, ma faiblesse, ma drogue, mon ivresse, ma liberté, mon port d’attache… et je ne te regarde plus.
PARDON.
J’espère que tu vas t’en sortir…
Tu dois t’en sortir, bats-toi, sois forte. Je te promets de
« Papa, je dois faire pipi.»
« On y va, mon grand, on y va. » dit-il en jetant rageusement la lettre froissée dans une poubelle remplie de papiers gras.
« Papa, tu fais une drôle de tête, pourquoi ? C’est parce que Maman n’est pas là ?
Elle va revenir, tu sais: elle nous aime. »