Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Paroles Plurielles
28 mai 2007

Mes papis du jeudi (Cassymary)

« Le samedi, c'est plus tranquille. Il y a moins de monde" me lance t'il. T'es en retard non?»
« Mais Dédé, nous sommes jeudi, vous savez bien que la distribution c'est le jeudi »
« Et pardi té que je le sais, mais j'aime bien te faire croire que je suis un peu gaga"
M’sieur Dédé, 80 ans bien sonnés, c’est mon préféré.
« Ah, si j'avais 30 ans de moins! C'est toi que je préfère, mais ne le dis pas aux autres, elles seraient jalouses »

14h: la distribution commence. Ils attendent sagement, en file indienne, avec leur cabas.

Il y a ceux qui arrivent à midi pour être sûr d'être les premiers,  ceux qui ont encore oublié leur panier, ceux qui ont égaré leur carte alimentaire.
Il y a ceux qui s'interpellent comme un samedi matin au marché, ceux qui vous sourient, vous saluent.
Il y a ceux qui baissent les yeux, fuyant les regards...
Il y a la petite nouvelle, envoyée par l'assistante sociale. Elle vit dans une roulotte, avec ses deux enfants en bas âge, près du centre commercial.

En ce moment ce sont des convois de tchétchènes qui nous arrivent. Les assos sont débordées. La misère est comme la mode, elle a ses tendances. Cette année c'est tendance Tchétchène. L'an dernier c'était tendance Irakienne. Tous ces gens cherchent une terre d'asile qui leur offrira sécurité, mais aussi  misère et précarité.

Il y a ceux qui vous embrassent, viennent vous parler de leur dernier né et vous lance un joyeux: "et vous ça va? Vous avez l'air fatigué!

Il y a les râleurs, les dragueurs, les farceurs.
Il y a les inquiets, les pressés, les déprimés.
Il y a les joyeux, les précautionneux, les silencieux.
Il y a les bavards, les toujours en retard.
Et puis il y a ceux que je cherche du regard, que j'attends pour accompagner, écouter, partager. Ce sont mes papis qui arrivent, boitillant, tremblotant, bafouillant.

Je remonte la file.

« Ils sont où mes papis?" Mes papis que je fais sortir du rang, que je prends par la main. Je les bichonne, mes papis, transportant leur cabas pendant qu'ils s'accrochent à mon bras. Nous bavardons. Et pendant qu'ils me parlent de leurs rhumatismes, du temps qui passe, du temps qui fuit, du plaisir qu'ils ont à me voir, je souris, remplissant leur panier de petits bonheurs en boîte. Je les aime mes papis. Ils me disent en silence que je suis à ma place au milieu de ces gens, à donner de mon temps!

Monsieur Dunant, votre croix rouge  est tatouée sur ma peau,  juste à la place du cœur.

Publicité
Commentaires
P
au delà de la partie sensible liée au bénévolat, en effet, et que tu rends très bien, j'ai personnellement retenu la si jolie façon que tu as de les décrire. on les voit, tes papis, cassy. et les autres aussi.<br /> <br /> et j'aime beaucoup ta finale :)
M
Quelle tendresse ! Merci de nous la faire partager. Douce humanité au coeur de la misère...
C
C'est qu'on apprend beaucoup à faire du bénévolat :o)
S
Tu écris très bien, Cassy, c'est chaque fois un bonheur de te lire. Tu as une belle sensibilité généreuse.
R
j'aime beaucoup cette mise en mot de la consigne. c'est une interprétation douce et généreuse. on sent l'amour et l'affection qui se marie bien avec cette quête d'une terre d'asile !
Publicité