Le petit tailleur de rêves ( Kloelle)

30 mai 2007

Le petit tailleur de rêves ( Kloelle)

- « Le samedi, c’est plus tranquille. Il y a moins de monde »
C’est Noé qui parlait. Il avait toujours des idées fameuses, ou fumeuses, c’est selon.
Je me suis souvent demandé par quelle diablerie celles-ci germaient dans son esprit.
Noé, c’est le rayon de miel de mes premières années. Avec lui, semaines après semaines, j’ouvrais mes yeux d’enfant sur de vraies cavernes d’Ali baba. Il était grand de taille, beaucoup plus dégourdi que moi et jouissait, à tout juste dix ans, d’une belle réputation de meneur. Sans lui j’aurais passé mes journées au campement, avec les deux petits, à supporter les cris d’énervement et d’épuisement de maman. Je crois qu’elle était contente de me voir partir ces jours là, de ne plus m’avoir « dans les jambes », comme elle disait. Elle était tellement fragile maman, usée avant l’heure.

Les virées avec Noé avaient dès lors un joli goût de liberté, quelques tours d’aiguilles pendants lesquelles j’oubliais l’odeur de la misère. Désertées par les ouvriers les usines de la ville devenaient le samedi des terrains de jeux surprenants. J’ai des souvenirs de parties de cache-cache épiques au milieu de palettes de boites de conserves, de combats de chevaliers en caddie ou encore de marelles géantes sur les tapis roulants d’une fabrique de yaourts aux fruits. Je ne réalisais pas à l’époque la curieuse symbolique qui prenait naissance là, dans ses jeux malgré tout innocents, au cœur même des centres vitaux d’une société de consommation qui nous fermait ses portes. Dans ces entrepôts qui ne sont immenses que dans mes souvenirs d’enfant nous étions les rois du monde.

Quand le soir venu, nous regagnions le camp, quand je me couchais au dessus des placards dans cette trop petite place qui était la mienne dans la caravane, je fermais mes yeux sur des espaces de jeux incroyables.
Noé, il habillait nos nuits de mirages enchanteurs.
Des rêves pour me faire oublier les pleurs silencieux de maman.