Le temps d'un voyage (Mlle e.)
"Ce que je venais de dire à la vieille marquise Guy de Ruy était l'exacte vérité."
Je fermais le bouquin. Trois fois que je relisais cette page, mais mon esprit vagabondait, ailleurs…
Le train filait vers Avignon, le soleil reprenait ses droits. L’homme en face de moi était descendu à la station précédente, oubliant son journal.
J’ai toujours aimé prendre le train, parce qu’il permet de prendre du temps. Du temps pour rêver, pour observer les autres passagers, s’imaginer leur vie.
Et cet homme assis en face de moi, il y a tout juste un instant, pouvait être un bon père de famille qui rentrait de sa semaine de travail dans la banlieue parisienne.
Ou bien, cet homme là était… Mais oui bien sur! A cause du journal replié je ne distinguais pas plus que le quart inférieur droit du visage, mais il me semblait bien l’avoir vu quelque part! Quelques instants plus tôt était assis en face de moi, le tueur en série actuellement recherché pour le meurtre précédé de viol de trois jeunes femmes dans un quartier de Paris! Oh mon dieu! Mon cœur palpite, mes joues palissent, mes mains moisissent! Non! deviennent moites! Ah! À peine cinq passagers dans tout le wagon, dont moi, le tueur, une vieille femme aveugle et sourde, et une femme enceinte (ça compte pour deux)!!!
Peut-être n’est-il en fait pas descendu. Il attend sa prochaine victime dans les toilettes, là, juste dans le couloir…
Ni une ni deux, je me lève, essuie mes mains sur mes cuisses (vive les jeans), me donne du courage me disant que demain je ferai la une des journaux, alors que depuis tant d’années (ok, une et demi) je sue sang et eau sur la scène pour n’apparaître qu’en tout petit à la page spectacle… Bref, j’avance le long du couloir.
J’arrive près de la porte, je distingue une ombre derrière, je révise mentalement ce que je faisais après le salut en entrant sur le tatami (oh! satanés trous de mémoire!). Il avance aussi… La porte s’ouvre:
« - Mademoiselle?
- Ah!
- Contrôle des billets s’il vous plait. »