Timing (Herbert Khan)
L'horloge indique vingt-deux heures, mais elle est en avance...Julie, elle,
semble ne pas se soucier du temps, c'est dommage car moi cela m'obsède. Surtout
la grande aiguille, celle des minutes. Elle tourne si lentement qu'on ne la voit
pas bouger, comme la petite d'ailleurs. Mais la grande est la plus belle, une
épée qui rythme nos vies d'un coup d'estoc régulier, presque imperceptible, mais
régulier.
Nouveau regard sur l'église, où trône la reine des heures. Moins le quart,
rageant. Le vent commence à souffler de sa
respiration glaciale. Je redresse mon col et m'enfonce un peu plus dans mon
imper. Doux cocon de chaleur, le nid idéal pour attendre l'éveil et la
renaissance. La patience est le maitre mot, juste la patience. J'ai tout le
temps, oui. La maison de Dieu semble en avoir plus que moi. Ses murs commencent
à s'effriter mais gardent leur beauté première. Du charme à l'état pur, un
morceau de passé dans le présent, construit pour le futur. Au sommet je devine
les carillons qui sonneront bientôt le glas de mon rendez-vous.
§
Il est presque minuit quand je me décide à appeler Julie. D'habitude je ne
le fais pas, je préfère regarder les yeux coupables des fautifs qui m'ont faire
perdre mon temps.
Mes doigts engourdis peinent à fouiller le répertoire de mon cellulaire, et
finalement je trouve le bon numéro, son fixe. Elle reconnait pas celui de mon
portable, j'aurais dû lui donner.
- Frank? Répond de suite la voix de Julie. Qu'est-ce que tu fous je te cherche
partout !
- Tu te payes ma tête où...
- L'horlogerie, elle brûle !
Je lui raccroche au nez sans le faire exprès. Je me mets à courir en
regardant l'heure, minuit moins vingt. Il faut que j'y aille, que je sauve les
aiguilles. Que je sauve la façade et ses deux yeux de hiboux, l'héritage
familial.
C'est à l'autre bout de la ville, je n'aurais pas le temps, je ne l'aurais
plus jamais.