Le secret des Alouettes ( Amanda )
L'horloge indique vingt deux heures trente, mais elle est en avance...
Une très vieille horloge.
Aussi vieille que le couvent des Alouettes.
Vieilles aussi les trois nonnes...
On les appelle les trois Soeurs : Soeur Thérèse, Soeur Bernadette et soeur Marie-Françoise.
Toutes menues mais bien dodues, farouchement attachées au port du voile qui cache à peine des cheveux grisonnants, les trois Sœurs habitent au couvent de K., entouré d’un vaste jardin protégé par de hauts murs de pierre.
Humide et froid, ce couvent serait bien trop grand pour elles trois.
Seulement, il y a Monseigneur, Monseigneur l’Evêque de B.
Personne ne sait exactement ce qu’il fait : il n’y a plus des masses de prêtres à ordonner et les églises sont vides…
Les sœurs s’en moquent bien : du moment qu’il ramène des sous !
Monseigneur loge au couvent, dans un très bel appartement entretenu par les trois Sœurs, entièrement à son service.
Une vieille deux-chevaux conduite d’une main audacieuse par Sœur Thérèse les amène au « Carrefour « tout proche.
A vingt deux heures, Monseigneur se couche, rituellement.
Il lit quelques pages de son bréviaire en sirotant un dernier verre de Bordeaux.
Puis il s’endort toujours aussi rituellement jusqu’au lendemain 7h.
A vingt deux heures trente exactement, une fenêtre s’entrouvre, une seule, toujours la même, la dernière à gauche.
C’est le signal.
Le signal pour les avertir :
- que la voie est libre
- que le petit portillon à l’arrière est ouvert, qu’ils peuvent entrer sans risques
- que dans l’immense cuisine, un grand feu brûle dans la cheminée
- que sur la table la soupe fumante les attend
- que plus tard ils auront droit au Waterzooi de Sœur Thérèse
- et aux crêpes de Sœur Bernadette
- et à la tarte aux framboises de Sœur Marie –Françoise
- et qu’ils dormiront dans la buanderie mais seulement jusqu’à 6h30…
C’est cela le secret des Alouettes.
C’est tout ce que les trois Sœurs ont trouvé pour leur éviter le Centre fermé des Sans-Papiers.