Le VRP (Vagant)
L’horloge indique 22h30 mais elle est en avance. Elle
m’accompagne partout, cette petite horloge, aux quatre
coins de la France. Elle est de tous mes coups. Je
viens d’ailleurs d’y jeter un coup d’œil pour savoir
combien de temps il me reste à tirer, et je me
concentre à nouveau sur ces deux trous où
s’introduire.
Je suis VRP. Je vends tout et surtout n’importe quoi,
tant que cela me permet de sonner aux portes, de
planter mon sourire carnassier dans l’entrée
entrebâillée, et glisser des regards insidieux dans
l’échancrure des vies privées. Ce sont presque
toujours des femmes qui m’ouvrent, de ces ménagères de
moins de 50 ans que les pubards cherchent à baiser,
alors qu’il suffit de sonner à leur porte avec une
gueule d’amour. Dès le premier regard, je sais si je
vais conclure l’affaire. Après quelques questions
stratégiques, je sais quand et comment. Je me suis
spécialisé dans la petite bourgeoises engoncée dans un
mariage sous lexomil, piégée par les marmots et les
crédits à taux variable, mais prête à vivre la grande
aventure entre la purée du déjeuner et le chocolat du
goûter : trois heures de ménage maquillées en rêve à
bon compte auprès d’un beau sentimenteur. Alors elles
m’ouvrent tout, de leur chambre à coucher à leurs
rêves télévisés, elles s’ouvrent jusqu’au cœur pour
que je les cambriole.
Je suis VRP, officiellement. Tout s’est très bien
passé cet après midi avec ma cliente. Elle m’a même
fait la bonne surprise du mari en mission pour la
semaine, alors j’ai tout mon temps. No Stress. Ça va
glisser comme dans du beurre. Maintenant qu’il fait
nuit, il ne me reste plus qu’à décider comment la
violer. Devant moi, deux trous. Celui de gauche est
ouvert, pas béant, non, juste ouvert, prêt à ce que
j’y pénètre. L’autre est fermé, prêt à être forcé.
Entre les deux, un espace incertain, rouge brique.
Inutile de risquer la blessure, je vais opter pour la
fenêtre de gauche. Il me semble bien que c’est celle
du bureau. Le fric est dans le tiroir du bas.